Cancer et environnement : faut-il croire le Circ ?

par Philippe Bornard / avril 2009

Pour la Dre Annie Sasco, épidémiologiste, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a minimisé dans ses travaux, ces dernières années, le poids des expositions environnementales dans l'apparition des cancers.

D'après le rapport mondial 2008 du Centre international de recherche sur le cancer1 , les facteurs environnementaux contribueraient "de façon limitée" au développement des cancers. Partagez-vous ce constat ?

Annie Sasco : Non, nul ne peut l'affirmer de façon péremptoire. En l'état actuel des connaissances, moins de 10 % des cancers peuvent être attribués à un facteur génétique identifié et entre 20 % et 40 % aux comportements (tabac, etc.), ce qui totalise environ 50 %. Quid des 50 % restants ? L'introduction dans notre environnement de nombreux cancérogènes est une explication possible au vu des études toxicologiques. Certes, nous n'avons aucune quantification précise de l'impact des facteurs environnementaux cancérogènes pris de façon isolée. Néanmoins, il est possible par déduction d'évaluer à au moins 25 % la part qu'ils prennent dans l'incidence des cancers. Les rapports précédents du Circ (2003 et 2007) avaient estimé que cette part était comprise entre 0,07 % et 4 %, fourchette extrêmement basse critiquée par nombre de scientifiques. Cette fois, le Circ n'avance aucun chiffre.

En outre, étant donné le temps de latence du cancer, le rapport du Circ reflète, en termes d'expositions, ce qui s'est passé il y a vingt ou trente ans. Il n'ouvre pas assez la discussion sur les conditions actuelles d'exposition à de nouveaux cancérogènes potentiels liées à l'environnement : radiations non ionisantes comme les champs électromagnétiques, dont le téléphone portable ; perturbateurs endocriniens ; nanoparticules... Il est trop tôt pour avoir des données épidémiologiques déjà convaincantes sur ces expositions. Faute de prospective, le rapport du Circ est rassurant en soulignant qu'il y a relativement peu de cancers liés aux facteurs environnementaux. Mais l'absence de données ne signifie pas l'absence de risque. Cela n'encourage pas la mise en oeuvre de mesures de précaution.

Ce même rapport chiffre à 2 ou 3 % la part des cancers professionnels dans le total. Qu'en pensez-vous ?

A. S. : Ce résultat se réfère là encore à des expositions d'il y a une quinzaine d'années. De plus, cette estimation a été contestée - car considérée comme trop basse - par des chercheurs spécialistes des cancers professionnels, tels que Marcel Goldberg. Elle traduit la position très en retrait du Circ dans les cinq dernières années sur les cancers professionnels. J'y ai travaillé vingt-deux ans et suis partie en 2005 - comme d'autres chercheurs - parce que l'on me demandait de limiter mes recherches au tabac et de ne plus travailler sur les facteurs environnementaux. Mais la donne a changé début 2009, avec l'arrivée d'un nouveau directeur ouvert à ces questions et qui pourrait recréer un important département sur les cancers liés au travail et à l'environnement.

Il y a un énorme travail scientifique à fournir sur ces cancers. Mais le principe de précaution doit s'appliquer sans attendre que de grandes enquêtes épidémiologiques démontrent de façon absolue la nocivité de l'exposition à des cancérogènes. Il doit s'appliquer notamment aux travailleurs, qui sont les plus exposés aux substances cancérogènes nouvelles, et parmi eux aux plus fragiles : intérimaires, sous-traitants, travailleurs de petites entreprises.

  • 1

    World Cancer Report 2008, par Peter Boyle et Bernard Levin, Circ, 2008.