La CFDT mobilisée sur les cancers du sein
Soignantes et hôtesses de l’air peuvent développer un cancer du sein du fait de leurs horaires et conditions de travail. Un risque que des militants CFDT ont décidé de mieux prévenir, en informant les salariées et en aidant les victimes à obtenir réparation.
Aujourd’hui retraitée, Josiane Clavelin a exercé comme aide-soignante en pédiatrie à l’hôpital de Freyming-Merlebach, en Moselle, dans les années 1990 à 2000. La continuité des soins imposait aux soignantes des horaires en 3x8, et celles-ci étaient aussi exposées à des rayonnements ionisants. « On avait un appareil de radiologie mobile que l’on déplaçait dans les chambres, se souvient Josiane Clavelin. Si l’enfant s’agitait, on le portait ou on se tenait à côté de lui, sans tablier de plomb ni dosimètre pour savoir si l’on avait pris des rayons. » Militante à la CFDT, elle s’inquiète dès cette époque d’un nombre important de cancers du sein parmi ses collègues. « Une vingtaine de cas en pédiatrie, une dizaine en gériatrie, évalue-t-elle. On se posait des questions. »
Une inquiétude partagée dès le début avec le syndicat CFDT des mineurs de Lorraine, son hôpital étant rattaché au régime de sécurité sociale des mines. Les militants de ce syndicat savent mieux que quiconque que le travail peut rendre malade : ils se sont battus, entre autres, pour la création du tableau de maladie professionnelle sur la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) du mineur de charbon et ont obtenu, début 2021, la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété pour 727 anciens travailleurs. « Mais nous n’avions pas assez de recul sur une origine professionnelle du cancer du sein, retrace Josiane Clavelin. Il a fallu attendre 2007. »
Alertes sur le travail de nuit
Cette année-là, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) pointe l’effet « probablement cancérogène » du travail posté, en 3x8. Les rayonnements ionisants sont classés comme cancérogènes avérés depuis déjà longtemps. D’autres alertes suivent sur le travail de nuit. En juin 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) évoque un « excès de risque de cancer du sein ». Danger confirmé par une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), deux ans plus tard : travailler au moins trois heures entre minuit et 5 heures augmente de 26 % le risque de cancer du sein chez les femmes non ménopausées. Celles qui travaillent plus de deux nuits par semaine pendant plus de dix ans sont particulièrement concernées.
« Le lien est clair, la littérature unanime », tranche Lucien Privet, médecin expert des pathologies liées au travail, qui appuie depuis des décennies l’action des mineurs CFDT de Lorraine. Il devient vite l’une des cautions scientifiques du groupe de travail qui s’est constitué, au fil des années, autour de ce nouveau combat : la reconnaissance de l’origine professionnelle de cancers du sein. « A partir de nos observations à Freyming-Merlebach et des études, on a décidé de mener une enquête-action dans des hôpitaux de Moselle, avec les délégués syndicaux des hôpitaux miniers, puis de structures privées », relate Brigitte Clément, secrétaire de la CFDT des mineurs de Lorraine.
Le syndicat CFDT santé-sociaux de Moselle, puis celui du personnel navigant commercial (PNC) d’Air France se joignent à l’initiative. « Le travail de nuit est quasi généralisé chez les hôtesses de l’air, même sur les court-courriers, rappelle Monique Rabussier, membre du syndicat et représentante CFDT au conseil d’administration de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Elles sont aussi touchées par les rayonnements cosmiques [rayonnements ionisants produits par le soleil et les étoiles, NDLR], d’autant plus forts que les avions volent haut et s’approchent des pôles. »
Dépliant et questionnaire
En 2018, les militants font paraître un dépliant d’information, qu’ils diffusent dans les établissements de leur périmètre syndical. « Le cancer du sein peut être d’origine professionnelle », lit-on sur la fiche qui présente les risques, plaide pour une meilleure prévention primaire et un dépistage précoce. Le deuxième pilier de l’action est un questionnaire à destination des salariées et retraitées. La grille vise à reconstituer leur exposition à des facteurs de risques tout au long de leur carrière. Elle sonde aussi leur histoire et habitudes de vie, afin d’identifier d’autres causes possibles d’un cancer du sein (antécédents familiaux, tabagisme, etc.).
Le but n’est pas de produire une nouvelle étude mais d’informer les salariées et d’identifier celles dont le cancer peut être lié au travail. « En Moselle, on a pu regrouper une trentaine d’entre elles via le questionnaire, par bouche à oreille, puis lors de réunions publiques », indique François Dosso, militant à la CFDT des mineurs de Lorraine. L’étape suivante, pour celles qui le souhaitent : demander la reconnaissance comme maladie professionnelle.
Chez les actives, cette démarche est la clé pour obtenir une prise en charge financière complète de leur pathologie, celle-ci pouvant signer la fin de leur carrière. « Chez Air France, on se retrouve avec des cas désespérés de femmes qui n’ont plus que 1 000 euros par mois pour vivre car leurs primes ne sont pas prises en compte dans le calcul des indemnités journalières, déplore Monique Rabussier. Les longues absences pénalisent aussi leur retraite. Beaucoup doivent d’ailleurs faire le deuil de leur métier, car il est éprouvant physiquement. » Pour d’autres, l’enjeu relève d’une quête de réparation symbolique. « Elles sont retraitées, mais vivent le cancer du sein comme une injustice, constate Brigitte Clément. Elles ne veulent pas que d’autres soient touchées. »
Premières demandes de reconnaissance
A terme, les militants espèrent la création d’un tableau de maladie professionnelle, qui faciliterait les démarches. « C’est l’objectif, confirme Catherine Pinchaut, secrétaire confédérale CFDT qui coordonne le groupe de travail et s’efforce de faire connaître son action. Pour en arriver là, il va falloir de la matière. Tout l’enjeu est de pouvoir mettre en avant des cas très concrets. » Deux premiers dossiers vont bientôt arriver devant un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), qui devra statuer sur le lien « direct et essentiel » entre cancer du sein et travail des victimes. « Il s’agit de soignantes qui ont travaillé de nuit entre 80 et 100 heures par an pendant au moins dix ans et ont été exposées à des rayonnements ionisants, sans facteurs extraprofessionnels qui expliquent leur cancer », détaille Brigitte Clément.
Le combat n’est pas gagné pour autant. « Les premières décisions risquent d’être défavorables », anticipe, prudent, Jean-Luc Rué, responsable national de l’action et représentant CFDT à la commission maladies professionnelles du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct). « J’ai mené des batailles plus faciles, admet Lucien Privet. Le problème, c’est l’effet cumulatif des différents facteurs. Prouver le lien essentiel reste difficile, et on sait que les CRRMP peuvent se montrer frileux, même si les dossiers sont solides. »
Reste l’objectif de sensibilisation, qui pourrait porter ses fruits plus vite. Le travail est pour l’heure le grand absent de la prévention et du dépistage du cancer du sein. « Les médecins ne posent pas de question sur l’activité professionnelle et quand la maladie survient, le lien n’est jamais fait, regrette Rozenn Guéguen, coordinatrice du groupe de travail pour la CFDT santé-sociaux. Même les médecins de prévention ne sont pas toujours au fait. » Des salariées mieux informées pourraient limiter leur exposition aux risques au cours de leur carrière, ou bénéficier tout simplement d’un meilleur dépistage.
« A partir de l’automne, nous allons décliner l’action dans plusieurs territoires, en lien avec une quarantaine de référents sur les conditions de travail », détaille Rozenn Guéguen. Les hôpitaux, les cliniques et les Ehpad, où les salariées travaillent parfois de nuit tout au long de leur vie professionnelle, constituent des terrains de choix. Mais l’opération pourrait s’étendre à terme à d’autres secteurs très féminisés et en horaires postés, comme le ménage. En 2017, selon les données du ministère du Travail, 5 % des salariés du privé et du public travaillaient régulièrement de nuit et 14 % le faisaient à un rythme occasionnel.
La plaquette intitulée « Le cancer du sein peut être d’origine professionnelle », éditée dans le cadre de la campagne de sensibilisation et de prévention menée par certains syndicats de la CFDT, est disponible sur le site de la fédération santé-sociaux – sante-sociaux.cfdt.fr –, rubrique « Vie au travail », puis « Qualité de vie au travail ».