Chère Fatima, chère Myriam,

par
© N.M./FNMF © N.M./FNMF
François Desriaux rédacteur en chef
/ avril 2016

Je ne sais pas si vous vous connaissez, ni même si vous vous êtes déjà rencontrées. Je ne sais pas, Myriam, si vous avez vu Fatima au cinéma, César du meilleur film 2016, ni si vous avez lu les deux ouvrages autobiographiques de la vraie Fatima, Prière à la lune et Enfin, je peux marcher seule1 Je ne sais pas davantage, Fatima, si vous avez lu le projet de loi de Myriam sur la réforme du Code du travail. Je sais, en revanche, que vous n'en avez pas discuté ensemble, car si vous l'aviez fait, ce texte n'aurait sans doute pas été écrit comme cela.

Fatima, vous auriez pu raconter à Myriam votre parcours de femme de ménage, vos horaires très tôt le matin et très tard le soir, la double journée d'une femme qui doit aussi s'occuper des tâches domestiques à la maison après l'avoir fait chez les autres, l'impossibilité de concilier sa vie professionnelle et sa vie personnelle quand on a ces horaires et qu'on élève seule ses deux filles. Vous lui auriez sûrement parlé de la précarité, surtout quand surviennent les problèmes de santé et que le corps garde la trace de conditions de travail de plus en plus difficiles au gré de contrats de nettoyage toujours plus exigeants. Vous auriez pu lui expliquer vos galères après votre accident du travail, votre difficile et lente reconstruction à la consultation souffrance et travail de Nanterre...

Myriam, l'histoire de Fatima vous aurait sans doute permis de mieux comprendre que, au prétexte de "permettre la fluidité du marché du travail votre réforme risque d'affaiblir ou de contourner le peu de protections dont disposent celles et ceux qui, comme Fatima, travaillent durement. Croyez-vous qu'ils puissent travailler davantage, jusqu'à 48 heures par semaine ou 44 pendant 16 semaines d'affilée ? Pensez-vous qu'avec le recul de l'âge de la retraite, les salariés vieillissants tiendront le coup ? Certes, Myriam, vous auriez sans doute tenté de convaincre Fatima que vous souhaitez renforcer le dialogue social et que certains des assouplissements que vous proposez devront passer par des accords majoritaires dans les entreprises. Sauf que, en permettant à des organisations minoritaires de déclencher un référendum d'entreprise, vous risquez d'affaiblir le syndicalisme. D'autre part, en permettant à un accord d'entreprise moins-disant socialement de déroger à un accord de branche, là où les rapports de force sociaux sont plus équilibrés, vous risquez d'introduire la concurrence entre les travailleurs d'un même secteur et de favoriser le dumping social. Et ça, Fatima vous aurait montré que ce n'est jamais très bon. Et que dire, chère Myriam, de votre intention initiale de plafonner le montant des préjudices pour licenciement abusif ? Pour Fatima et tous ceux qui sont usés par de mauvaises conditions de travail, n'est-ce pas un signal envoyé aux entreprises leur indiquant qu'elles pourront désormais se débarrasser de ces "bras cassés" à moindres frais ? Ce barème est maintenant indicatif, mais il va forcément limiter l'appréciation des juges...

Chère Fatima, chère Myriam, il serait vraiment utile que vous puissiez échanger avant le débat parlementaire sur ce projet de loi de réforme du Code du travail. A Santé & Travail, nous sommes prêts à organiser cette rencontre.

  • 1

    Prière à la lune et Enfin, je peux marcher seule, par Fatima el-Ayoubi, ouvrages parus aux éditions Bachari respectivement en 2006 et 2011.