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Christophe Abramovsky : le « gesticulateur » qui explique le travail

par Nathalie Quéruel / juillet 2019

Ex-ergonome, ancien prof, mais inlassable militant de la cause des travailleurs, il est l'auteur et l'interprète (très) gesticulant du Travail est un sport collectif, drôle de conférence qui décortique les organisations délétères.

Il se définit comme un "gesticulateur populaire" ou un "conférencier gesticulant". Dans son spectacle intitulé Le travail est un sport collectif. Comment lutter contre la souffrance au travail, Christophe Abramovsky donne de sa personne au propre comme au figuré. En tenue de rugbyman, un ballon ovale à la main, cet ergonome de formation anime un drôle de match entre deux équipes, Travail et Capital.

Satirique, politique, ludique

Individualisation des tâches, management par la peur, évaluation des performances, injonctions paradoxales... voilà les organisations délétères du travail passées à la moulinette dans un original seul-en-scène, à mi-chemin entre exposé et théâtre, mêlant expériences personnelles et savoirs en ergonomie, sociologie ou philosophie. "Ce sont les conférences gesticulées inventées par Franck Lepage, un militant de l'éducation populaire, qui m'ont donné envie de me lancer en 2013, relate Christophe Abramovsky. Cette façon d'amener les gens à prendre conscience d'une réalité, avec sérieux mais sans se prendre au sérieux, m'a tout de suite emballé. Je fais un spectacle à la fois satirique et politique, avec une subjectivité assumée." Viviane Huerta, secrétaire régionale de Solidaires Sud Emploi Nouvelle-Aquitaine, le convie régulièrement à animer une journée "santé au travail", où la conférence est suivie d'une séance de théâtre-forum sur les pratiques professionnelles : "L'intervention de Christophe est ludique, tout en étant pertinente et de grande qualité sur le fond. L'atelier est très apprécié de tous, notamment parce que c'est une manière de retrouver du collectif."

 

En 6 dates

1966 : Naissance à Lyon.

1993 : DEA d'ergonomie au Conservatoire national des arts et métiers.

1996 : Professeur d'histoire-géographie en lycée professionnel.

2001 : Détachement au rectorat de l'académie de Toulouse pour une mission d'ergonomie.

2008 : Voyage de six mois au Venezuela.

2013 : Premières conférences gesticulées sur le travail.

Avant d'en arriver là, le parcours de Christophe Abramovsky suit une trajectoire sinueuse, où la question du travail n'est jamais absente. Né à Lyon il y a cinquante-trois ans au sein d'une famille modeste, il vit son enfance à Toulouse. Adolescent, il passe ses étés à travailler sur les chantiers de son père, artisan du BTP. "Les ouvriers m'ont appris à respecter le travail, souligne-t-il. Je me souviens en particulier de Pépé Gaychet, un maçon bossu éreinté par des années de labeur, dont j'ai fait un des personnages de ma conférence." C'est la rencontre, au collège, avec une professeure, Marie-France Brive, historienne et militante du Mouvement de libération des femmes, qui éveille son sens de l'engagement. "Elle nous parlait beaucoup du tiers-monde. Je voulais être journaliste pour dénoncer les injustices sociales."

Il monte à Paris pour préparer un DEA sur la géographie du tiers-monde à l'université de Nanterre et suivre les séminaires de géopolitique d'Yves Lacoste à celle de Saint-Denis. Un ancien professeur lui conseille d'aller voir Alain Wisner, directeur du laboratoire d'ergonomie du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), qui vient de publier Quand voyagent les usines. Christophe Abramovsky s'inscrit alors au Cnam pour suivre les cours du soir et les séminaires du samedi en ergonomie. La découverte de cette discipline le passionne : "Il s'agissait d'améliorer les conditions de travail des gens. C'est là que se passe la vraie révolution ! Mon rôle social devient clair : je vais sauver les travailleurs !"

Le jeune homme déchante assez vite. Embauché comme consultant dans un cabinet d'ergonomie, il enchaîne les interventions avec l'enthousiasme du novice. Mais celle menée chez un fabricant de meubles en Normandie est suivie d'un plan de licenciements massifs. "Mon travail avait été dévoyé. J'ai eu le sentiment que les ergonomes étaient parfois les auxiliaires des gains de productivité, et non de la protection des salariés. J'ai décidé de tout arrêter et de rentrer chez moi, à Toulouse."

Dolto et Le Monde diplo

Devenu professeur d'histoire-géographie et de français en lycée professionnel, il se sent à l'étroit et un peu seul face à des adolescents parfois difficiles, à l'institution, aux collègues. Lui se considère moins comme un enseignant chargé de transmettre son savoir que comme un prof éducateur, amenant les élèves à réfléchir par eux-mêmes ; avec eux, il lit aussi bien Dolto que Le Monde diplomatique, ou encore les professions de foi des candidats lors des campagnes électorales. Venu évaluer son travail en classe, un inspecteur pédagogique rend un rapport très défavorable, qui sera suivi de mesures disciplinaires. "Ça m'a démoli, confie-t-il. Cette expérience est un moment révélateur de mon spectacle. En parlant de ma propre souffrance au travail et en la mettant à distance par une analyse de l'organisation d'un système, les spectateurs se sentent en empathie avec moi."

Chassez le naturel, il revient au galop. Pendant deux ans, Christophe Abramovsky est détaché au rectorat de l'académie de Toulouse pour une mission d'ergonomie, préalable à la construction de lycées. Il passe au crible les tâches de tous les travailleurs oeuvrant dans un établissement, ce qui lui donne une idée : "Je pensais intéressant de créer un poste d'ergonome permanent au rectorat. Je suis allé défendre ce projet auprès de la rectrice, qui était à l'époque Nicole Belloubet, l'actuelle garde des Sceaux. On m'a opposé une fin de non-recevoir." En 2008, le militant part six mois au Venezuela vivre la révolution bolivarienne. Il y donne des conférences, soutient la création d'usines modèles intégrant le point de vue du travail, rencontre des syndicalistes, qui lui montrent l'envers du décor. L'utopiste en revient désabusé - "Pourtant, cette fois, j'y croyais !" -, mais pas moins combatif.

"Un espace de parole sur notre rapport au travail"

En 2012, il finit par démissionner de l'Education nationale. L'ancien prof écrit des articles pour des magazines alternatifs, anime une émission sur l'actualité dans une radio associative, participe à des formations en éducation populaire, se familiarise aux techniques du théâtre-forum au sein d'Arc-en-ciel Théâtre... Sa conférence gesticulée se donne maintenant partout en France, à l'initiative d'organisations syndicales ou d'institutions, mais pas seulement. Mary Diévart, directrice du festival toulousain Le Printemps du rire, l'a programmée en mars dernier dans le off. "J'avais vu par hasard son spectacle, qui m'a beaucoup touchée, témoigne-t-elle. C'est rare, un espace de parole sur notre rapport au travail et dans une forme qui permet une prise de conscience collective sur la souffrance au travail. C'est pourquoi j'ai souhaité qu'il soit accessible à un plus large public. Christophe porte un discours qui permet un mieux vivre ensemble." Viviane Huerta constate pour sa part qu'"il ne s'est pas reposé sur une carrière sécurisante ; il a su dire non à des choses qui ne lui plaisaient pasLes gens apprécient son écoute et sa bienveillance".

"J'ai lâché le métier d'ergonome, mais je n'ai jamais abandonné la question du travail", résume le désormais intermittent du spectacle, qui s'insurge contre les notions de qualité de vie au travail - "de la soupe technocratique" - ou de risques psychosociaux - "un piège sémantique qui relègue au second plan les causes organisationnelles". Sa conférence gesticulée se prolonge d'ailleurs par un second volet : Les pingouins ne portent pas de costard. RPS, QVT, burn-out... appellations d'origine très contrôlées. Sans plus de concessions au discours ambiant.

En savoir plus
  • La vidéo du Travail est un sport collectif ainsi que des informations sur les conférences gesticulées, interventions et ateliers-formations de Christophe Abramovsky sont accessibles sur www.christophe-abramovsky.fr