5es Rencontres de "Santé & Travail", 10 avril 2013 - © Gérard Monico/Mutualité française
5es Rencontres de "Santé & Travail", 10 avril 2013 - © Gérard Monico/Mutualité française

Des CHSCT incontournables mais fragiles

par Clotilde de Gastines / juillet 2013

L'action des CHSCT était au coeur des débats lors des 5es Rencontres de Santé & Travail. Ces instances, malgré des prérogatives renforcées, ont toujours du mal à occuper tout leur champ d'intervention, faute de moyens adaptés.

Quel avenir pour les CHSCT ? C'est sur cette question d'actualité que se sont ouvertes les 5es Rencontres de Santé & Travail, le 10 avril dernier, à Paris, en présence de 200 participants. Organisées sur un thème plus général, "Avec la crise, peut-on encore sauver les conditions de travail ?", ces rencontres devaient également aborder, lors d'une seconde table ronde, la question tout aussi importante de la prise en compte de la qualité du travail dans les modèles de compétitivité. Mais celle-ci n'a finalement pas eu lieu, suite à l'irruption d'une centaine de salariés grévistes de l'usine PSA d'Aulnay-sous-Bois, venus interpeller le ministère du Travail (voir article page 54).

L'organisation du travail mise en débat

Concernant le CHSCT, Bernard Dugué, enseignant-chercheur en ergonomie à Bordeaux, a souhaité engager le débat sur une note optimiste, en rappelant les points forts de cette instance représentative du personnel, la seule à disposer de véritables prérogatives en matière de prévention des risques professionnels. Tout en rappelant les difficultés rencontrées dans son fonctionnement. Un fonctionnement par définition très hétérogène selon la taille de l'entreprise, la nature de ses activités, l'implantation syndicale...

Pour Pierre-Yves Verkindt, professeur de droit social à la Sorbonne, cette instance a bénéficié de la montée en puissance des préoccupations de santé. Son périmètre d'action s'est élargi au champ de la santé mentale et des risques psychosociaux (RPS), ce qui lui permet aujourd'hui d'intervenir sur les questions d'organisation du travail. "La notion de conditions de travail a irrigué toutes les dimensions du travail, même relationnelles et organisationnelles", décrit-il. Et bien que de nombreux employeurs considèrent que l'organisation du travail ne relève pas des prérogatives du CHSCT, les contentieux sur ce sujet se multiplient.

L'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) propose d'ailleurs de changer l'appellation de "CHSCT" en "comité des risques organisationnels". Comme l'explique Dominique Vandroz, directeur général adjoint de l'Anact, le CHSCT dispose aussi désormais d'un droit de regard concernant les effets sur les conditions de travail d'une délégation de service entre une entreprise utilisatrice et une entreprise de travail temporaire, voire entre un donneur d'ordres et un sous-traitant.

Trente ans après leur création, les CHSCT auraient donc atteint l'âge de la maturité, selon Pierre-Yves Verkindt. Citant l'arrêt dit "Snecma", rendu en 2008 par la Cour de cassation, il rappelle que l'employeur ne peut plus prendre de mesures d'organisation du travail qui auraient pour objet ou effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés. La protection de la santé se place désormais au-dessus du pouvoir de direction. Une déclinaison de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur les entreprises, définie elle aussi par la Cour de cassation, suite à l'affaire de l'amiante.

Néanmoins, pour le juriste, il est possible de renforcer encore les prérogatives du CHSCT. Lui donner notamment le droit d'agir en justice quand un intérêt collectif de santé est menacé serait un progrès. Avec un bémol. La réponse juridique ne résout pas toutes les difficultés. Et sur ce point précis, les organisations syndicales pourraient craindre qu'un droit à agir devant les tribunaux réservé au CHSCT fractionne leurs prérogatives.

Sur le terrain, la tâche des CHSCT n'est pas non plus toujours aisée. Comme en témoigne Kumba Duvillier, secrétaire CFDT du CHSCT d'Adecco Ile-de-France. Depuis 2010, dans les entreprises de travail temporaire, des représentants des intérimaires doivent intégrer les CHSCT et, en cas d'accident de travail grave ou mortel d'un intérimaire, l'instance doit être convoquée. Or ce n'est pas toujours le cas. En outre, pour compenser la baisse de l'activité, Adecco délègue ses intérimaires sur des métiers dangereux (charpentier, couvreur), qui figuraient auparavant sur une liste noire. Ce qui préoccupe la représentante du personnel : "Adecco prend des risques, car le taux de fréquence et de gravité des accidents du travail d'un intérimaire est double par rapport à celui des permanents des entreprises utilisatrices. Nous avons fait part de nos inquiétudes."

L'enjeu de la formation

Parfois instrumentalisés par les services hygiène et sécurité des entreprises, réduits à transmettre des consignes de l'employeur, les CHSCT peinent à devenir de véritables instances représentatives du personnel. A savoir des lieux où, au-delà du respect du droit, des débats et controverses peuvent s'engager sur les stratégies de prévention des risques ou les problèmes de santé au travail, en lien avec son organisation. Pour que ce type d'échanges puisse exister, les intervenants citent le besoin de temps et de formation pour les élus comme pour les employeurs, et le nécessaire investissement de tous. Les témoignages convergent sur les difficultés rencontrées par les membres de CHSCT pour prendre leurs heures de délégation et sur l'absence récurrente des autres acteurs censés participer à l'instance : conseillers de prévention, inspecteurs et médecins du travail. Mais c'est sur la formation que les besoins semblent les plus criants.

Ainsi, pour Bernard Dugué, l'amélioration de la formation des élus du personnel demeure une "urgence"."La formation obligatoire est plutôt une initiation", précise Kumba Duvillier. Après un master 2 en santé et sécurité au travail à l'université Paris 13, elle estime que la formation initiale des représentants du personnel est insuffisante pour pouvoir "aborder les TMS, contrôler le document unique d'évaluation des risques ou être force de proposition".

Dans l'assistance, Pascal Auguste confirme. Syndicaliste et secrétaire de CHSCT le jour, psychologue du travail le soir, cet ouvrier rotativiste a suivi un cursus au Conservatoire national des arts et métiers. Il regrette que la formation des élus soit encore "très hygiéniste" : les apports sur les plans juridique ou technique, avec l'arbre des causes, sont importants, mais ceux en termes de réflexion sur les relations entre organisation du travail et santé des salariés restent pauvres. Pascal Auguste regrette aussi que les formations en santé au travail ne soient pas étendues à l'ensemble des représentants du personnel, en vue de soutenir l'action du CHSCT. "Chez nous, les heures de délégation et la formation, c'est au choix de l'administration. Comment faire ?", interroge dans la salle Christophe Godard, responsable des questions santé-travail pour la CGT Fonction publique d'Etat. Dans les fonctions publiques territoriale et d'Etat, la création des CHSCT est récente. Selon Pierre-Yves Verkindt, la solution passera par l'amélioration des textes et l'investissement des syndicats

Garantir le droit d'expertise

Se pose enfin la question du temps nécessaire aux expertises lancées par les CHSCT, afin que celles-ci parviennent à "changer le regard et comprendre les situations de travail", explique la consultante Véronique Poète, du cabinet Alternatives ergonomiques. "Si la nouvelle loi sur la sécurisation de l'emploi réduit le temps de l'expertise, ce sera très difficile", s'inquiète-t-elle (voir article page 17). Sans compter l'hostilité des employeurs à certaines expertises demandées par les CHSCT, qui peut entraver leur lancement ou leur déroulement. C'est ce qui est arrivé aux Hospices civils de Lyon, selon Isabelle Crouzet-Godard, secrétaire CGT d'un des CHSCT des Hospices. Il aura fallu un recours auprès du tribunal de grande instance pour que soit obtenue l'expertise. Et par la suite, il a été difficile de suivre l'avis de l'expert, qui préconisait d'embaucher du personnel.

La colère de Fadma, du secteur montage
Clotilde de Gastines

L'irruption d'une centaine de grévistes de l'usine automobile PSA d'Aulnay-sous-bois, lors des 5es Rencontres de Santé & Travail, a mis un terme aux débats prévus. Venus interpeller le ministre du Travail, finalement absent, les manifestants ont témoigné de leur lutte mais aussi de leurs conditions de travail. Comme Fadma Abraim, 37 ans.

Sur son tee-shirt, on peut lire le slogan "On se battra comme des lions", accompagné d'une figure léonine, emblème de la marque PSA, qui mord une clé à molette. Fadma Abraim travaille depuis douze ans dans le secteur montage du site automobile. Elle est monitrice de cinq personnes, qui effectuent l'"habillage caisse" des voitures.

"La tôle arrive sans rien, décrit-elle. Mon équipe intervient en moins d'une minute. Un robot prépare les petites vitres, pose la durite. Je les monte, puis je dois dégraisser les résidus, l'emplacement du pare-brise et de la lunette arrière." Une dizaine de gestes, un pivot et quelques pas accompagnent son récit, mimant l'enchaînement sur le poste de travail, dans un espace de 5 mètres carrés. Pendant cette unique minute, son équipe serre, visse, agrafe, pose le levier de vitesse, les ceintures de sécurité et le frein à main. "Impossible de boire un verre d'eau ou de parler, sinon on se met à couler et la ligne s'arrête", précise-t-elle.

"Bousillés"

Une équipe connaît tous les gestes, car les opérateurs sont censés alterner toutes les deux heures. En principe, cette polyvalence doit leur éviter "d'avoir un geste trop mécanique, de se blesser ou de faire des erreurs". Pourtant, dans l'équipe de Fadma, certains sont "bousillés" et ne peuvent plus tenir leur poste.

Selon elle, le nombre d'accidents est stable, mais la pression est trop importante. En douze ans, les cadences et la charge de travail ont augmenté. "Quand je suis entrée, on faisait 279 voitures par jour. On est passés à 357, avec un effectif moindre, moins d'embauchés et plus d'intérimaires", raconte Fadma. Et les préconisations des ergonomes maison restent sans effet : "Plutôt que de faire le geste prescrit, l'opérateur trouve une stratégie pour faire un autre geste, même mauvais, qui lui permet de gagner quelques secondes."

En tant que monitrice, Fadma doit aussi renseigner des indicateurs "qualité" et passer en revue la "tenue-image" des opérateurs (protections, sécurité, outillage). "Beaucoup de paperasse qui finit à la poubelle", critique-t-elle. Gréviste, mais pas syndiquée, Fadma a demandé son reclassement sur le site de Poissy. Mais le doute et la colère subsistent : "Dans quelles conditions et pour combien de temps ?"

Afin de surmonter ces obstacles et redonner aux CHSCT des marges de manoeuvre, Bernard Dugué conseille à ces derniers de s'appuyer sur les obligations de prévention et de sécurité de résultat qui pèsent sur les employeurs. Un CHSCT peut exiger que sa direction pose des actes de prévention traçables, afin d'améliorer la qualité et les conditions du travail. Soit obtenir du concret à défaut de nouvelles prérogatives.