Collectif

par François Desriaux rédacteur en chef / janvier 2010

Le mythe du harceleur moral, pervers narcissique, serait-il dépassé ? Beaucoup de ceux qui écrivent dans nos colonnes n'ont jamais cru à l'invasion des entreprises par une horde de managers déviants et manipulateurs, capable de provoquer l'augmentation sans précédent des risques psychosociaux déplorée dans le monde du travail.

La chambre sociale de la Cour de cassation non plus. Dans un arrêt du 10 novembre dernier, elle vient de reconnaître que le harcèlement pouvait être aussi le produit de certaines formes de management. Difficile de ne pas faire la relation entre cette évolution jurisprudentielle et la vague de suicides qui a ému l'opinion. Il est incontestable que la souffrance au travail devient à la fois un problème social et un problème de santé publique. Ainsi, selon l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), le risque psychosocial a pour la première fois pris la tête des motifs de consultation des centres de pathologies professionnelles. Difficile aussi de croire que, seule, la sensibilisation accrue des juges à ce qui se passe dans les entreprises va modifier la donne. Même si l'on peut espérer que cela dissuadera certains dirigeants de mettre en oeuvre de véritables politiques de harcèlement stratégique, la souffrance au travail ne peut être ramenée uniquement à une déviance des modes de gestion des ressources humaines. Enfin, difficile de croire que le plan d'urgence lancé par le gouvernement, avec l'obligation de négocier un accord sur le stress dans les entreprises de plus de 1 000 salariés avant le 1er février 2010, sera capable d'inverser la tendance (voir pages 6 à 9 de ce numéro).

Non, si l'on veut vraiment remédier aux risques psychosociaux, c'est d'abord au travail et à son organisation qu'il faut s'attaquer. A l'intensification, à la standardisation et à la rationalisation exacerbées des tâches qui sont à l'oeuvre depuis une vingtaine d'années et qui ont dégradé le travail et les relations sociales dans les entreprises comme dans les administrations. Ces évolutions ont concouru à isoler les salariés et à les priver d'un nécessaire soutien collectif. Or c'est le coeur de la souffrance des travailleurs. Etre en permanence débordé, avoir le sentiment de ne plus arriver à faire un travail de qualité et ne pas pouvoir en parler à ses collègues, eux-mêmes débordés et souvent en concurrence sur les objectifs, tout cela confine le salarié dans sa solitude. L'urgence, c'est donc de reconstruire des collectifs de travail dans les entreprises et de relancer un droit d'expression des salariés.

C'est le sens de cette proposition du rapport sur la santé mentale du Centre d'analyse stratégique : " Investir dans les collectifs pourrait se révéler une stratégie adaptée aux réalités du contexte économique actuel et de ses évolutions. "1

C'est aussi le sens de l'appel lancé par Santé & Travail et par plusieurs membres de notre réseau, auquel nous invitons nos lecteurs à se joindre2 . Ce n'est pas révolutionnaire. Il s'agit juste de reconquérir le droit à la parole sur le travail. Bref, de faire entrer un peu plus de démocratie dans le monde du travail.

  • 1

    La santé mentale, l'affaire de tous, rapport du Centre d'analyse stratégique à Nathalie Kosciusko-Morizet, novembre 2009.

  • 2

    " Risques psychosociaux : débattre enfin du travail ! ", appel à signer en ligne sur www.sante-et-travail.fr