Comment appuyer l'action du médecin du travail

par Dominique Huez médecin du travail / juillet 2012

En ayant une vision plus claire des missions du médecin du travail ainsi que des outils dont il dispose et en l'interrogeant sur les moyens qu'il met en oeuvre, les élus du personnel peuvent l'aider à remplir son rôle et améliorer ainsi la prévention.

Les relations entre les représentants du personnel et le médecin du travail sont souvent empreintes de défiance ou d'incompréhension. Cela tient en grande partie à une méconnaissance par les élus du personnel de ce que recouvre la mission du médecin du travail, de ses obligations comme de ses moyens d'intervention. C'est d'autant plus dommage que les représentants du personnel peuvent aider le médecin du travail à jouer pleinement son rôle, dans le respect de son indépendance, ce qui permettrait en retour de renforcer leur propre action en matière de prévention des risques professionnels.

Quelle veille médicale collective ?

Faut-il le rappeler, l'exercice de la médecine du travail doit se faire dans le seul intérêt de la santé des travailleurs. Le médecin du travail n'a pas ainsi à gérer les risques en lieu et place de l'employeur, à faire de quelconques arbitrages entre ce qu'il constate, et dont il doit rendre compte, et les impératifs économiques de l'entreprise. Il est censé accompagner la construction de la santé au travail de chacun et sa pratique doit favoriser l'intervention des autres acteurs en ce sens. Il assure pour cela le diagnostic des atteintes à la santé du fait du travail, individuellement et collectivement. Il peut aussi attester médicalement du lien entre les pathologies et le travail. Enfin, le suivi médical individuel qu'il réalise doit servir de base à une démarche de prévention collective.

C'est un des objectifs de la consultation médicale périodique ou spécifique, qui ne peut se résumer à de simples examens médicaux : contrôle de la tension, du poids... Cette consultation doit être le lieu et le moment d'un dialogue sur le travail, afin de permettre au salarié de comprendre comment il y joue sa santé. C'est une occasion de sortir les histoires personnelles de leur singularité. Le salarié peut y découvrir qu'il n'est pas le seul à pâtir de ce qu'il énonce et que d'autres collègues vivent la même chose.

Cette pratique de médecine de première ligne évite une médicalisation excessive par des traitements pharmacologiques ou des arrêts maladie à répétition, qui ne permettent pas une restauration de la santé au travail. Elle permet surtout au médecin du travail d'accompagner les collectifs de travail, d'ébaucher des pistes de compréhension sur les effets délétères d'organisations ou de relations de travail et ainsi de rendre compte des causes professionnelles des atteintes à la santé. En résumé, d'assurer une veille médicale collective.

Les élus du personnel peuvent accompagner cette démarche en questionnant le médecin du travail sur son dispositif de veille. Lui permet-il d'agir préventivement à partir de ce qui fait difficulté dans des situations de travail ? Peut-il rendre compte des effets sur la santé de l'organisation et des relations de travail au sein de la collectivité dont il a la charge ? Quelles sont les principales expositions professionnelles signalées par ses soins sur les fiches individuelles de suivi médical ? Rédige-t-il des attestations médicales pour le suivi postprofessionnel ? Dans quel document reporte-t-il son analyse des risques collectifs : rapport annuel d'activité ou fiche d'entreprise ? Sans une meilleure visibilité sur les résultats de la veille médicale, les élus du personnel peuvent difficilement anticiper les effets du travail sur la santé à court et moyen terme. Ils peuvent donc proposer au médecin du travail de le rencontrer plus régulièrement, afin de mieux prendre en compte son diagnostic collectif sur l'évolution du lien santé-travail.

Un rôle de lanceur d'alerte

Complémentaire à la veille, l'alerte médicale est aussi indispensable à l'action du médecin. Elle est parfois incontournable, face à la gravité de certaines atteintes à la santé ou compte tenu du nombre de personnes concernées. Elle s'appuie, comme la veille, sur des constats cliniques, sur l'instruction concrète par le médecin du travail de ce qui fait difficulté et s'avère dangereux dans la réalisation du travail pour un ou des salariés. Son objectif est de signifier publiquement l'existence d'un risque aux collègues, au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et à l'encadrement, afin qu'ils puissent agir en vue de transformer les situations de travail délétères. En amont, l'alerte médicale peut concerner des risques pour la santé mentale ou physique, liés à certaines situations organisationnelles ou à des expositions professionnelles, avant toute atteinte à la santé. En aval, lorsque des salariés sont atteints, l'alerte peut être nécessaire pour déployer les mesures de sauvegarde médicale nécessaires, individuelles ou collectives. Cela peut passer par un appui à la déclaration de maladie professionnelle. Là encore, les représentants du personnel peuvent accompagner la démarche, en interrogeant le médecin du travail, notamment face à des situations difficiles. Comment compte-t-il exercer son devoir d'alerte médicale ? L'instruction du lien santé-travail est-elle bien retranscrite pour chaque salarié dans son dossier médical ? Le cas échéant, les salariés sont-ils informés de la possibilité de déclarer une maladie professionnelle ? Sont-ils au courant que le médecin du travail peut rédiger un certificat médical sur le lien santé-travail ?

Un cadre déontologique

Enfin, il est essentiel de rappeler que l'exercice de la médecine du travail est fondé sur une relation de confiance, adossée au secret médical, c'est-à-dire conditionnée par la préservation de ce qui vient aux oreilles du médecin du travail en ce qui concerne les situations individuelles. Sur ce dernier point, il n'y a aucun secret partagé, que ce soit avec l'employeur, le directeur des ressources humaines, l'assistante sociale ou les représentants du personnel. En cas de divulgation de données médicales individuelles, la responsabilité personnelle du médecin du travail est engagée et il peut être condamné pour cela. Il ne peut également proposer des aménagements du poste de travail d'un salarié en vue de préserver sa santé qu'avec son consentement éclairé. L'exercice de sa profession est réglementé par les Codes de santé publique et de déontologie médicale ; son statut indépendant est protégé par le Code du travail (voir " Repères ").

Repères

Si nécessaire, les élus du personnel peuvent consulter les articles suivants du Code du travail sur le statut et les missions du médecin du travail : L. 4622-3 ; L. 4623-1 à 7 ; L. 4624-1 ; R. 4623-1 ; R. 4623-1 à 4 ; R. 4623-15 et 16 ; R. 4624-1 à 9 ; R. 4624-19 ; D. 4624-33 à 50. Le Code de déontologie médicale est consultable sur www.conseil-national.medecin.fr

Sur ces questions déontologiques, les élus du personnel peuvent assurer un contrôle social mais aussi appuyer le médecin du travail, notamment lorsqu'il s'agit de préserver les salariés d'un risque de sélection médicale par des critères de santé. En dénonçant, par exemple, toute velléité de choisir les salariés aux postes de travail en fonction de prétendus " surrisques individuels " génétiques vis-à-vis d'expositions dangereuses, ou de leur comportement face au " stress ", ou de leurs expositions professionnelles antérieures. Plus que dans la défiance, c'est dans un effort de construction de références partagées sur les orientations, les finalités, les moyens et les obstacles à sa mission que les représentants du personnel permettront au médecin du travail d'agir efficacement sur le terrain du dépistage et de la prévention des altérations de la santé du fait du travail.

En savoir plus
  • Les Cahiers SMT, de l'association Santé et médecine du travail, traitent des pratiques médicales en santé au travail et des enjeux sociaux et éthiques qui y sont attachés. Ils sont disponibles gratuitement sur le site de l'association : www.a-smt.org. Le dernier numéro paru porte sur le thème " Quelle médecine du travail demain ? " (n° 26, mai 2012).