« Des conditions de logement et de vie plus exposantes »

entretien avec Emilie Counil épidémiologiste et chercheure à l’Institut national d’études démographiques (Ined)
par Joëlle Maraschin / juillet 2021

Vous participez à une grande enquête sur l’épidémie de Covid-19, EpiCov, menée auprès de 135 000 personnes. Quels en sont les objectifs ?
Emilie Counil : Cette enquête vise à renseigner la diffusion du virus dans la population mais aussi les répercussions de l’épidémie sur la vie quotidienne, le travail et la santé. L’analyse des inégalités sociales de santé face à l’épidémie est un axe de recherche central. Lors de la première vague de l’enquête, en mai 2020, la présence d’anticorps dirigés contre le virus chez les personnes interrogées a été recherchée auprès de 10 % de l’échantillon, afin de mesurer la séroprévalence. Pour la deuxième vague, nous avons proposé ce test à l’ensemble des personnes et recueilli leur profession détaillée. Ces données vont permettre d’identifier les professions les plus à risque. Il existe très peu de données sur les taux de contamination par métier. Ce que l’on sait, c’est que, parmi les hospitalisations et les décès dus au Covid, environ 40 % des personnes concernées sont en âge de travailler.

Certaines populations sont-elles surexposées ?
E. C. : L’inégal accès au télétravail et au chômage partiel n’explique pas à lui seul les disparités socioprofessionnelles en matière de contamination. Les premiers résultats d’EpiCov montrent que le fait de vivre dans une commune à forte densité urbaine, d’exercer une profession dans le domaine du soin, et de partager son logement avec un nombre élevé de personnes est associé à un risque plus élevé d’être contaminé.
La séroprévalence est plus importante chez les 30-49 ans et aux extrêmes de la distribution des niveaux de vie. Autre résultat notable : les personnes immigrées d’origine non-européenne présentent la séroprévalence la plus élevée, malgré un fort respect des gestes barrières. Cela confirme l’hypothèse que certaines populations cumulent des situations d’emploi et des conditions de logement et de vie plus exposantes.

Les inégalités sociales de santé se sont-elles aggravées avec le Covid-19 ?
E. C. : Le gradient social s’est inversé entre le début de l’épidémie et la fin du premier confinement. Les classes sociales favorisées ont été plus exposées dans un premier temps, les premiers clusters étaient souvent liés à des voyages, des séjours de ski. Les mesures de confinement ont rétabli le gradient social habituel, avec des catégories moins favorisées plus touchées. Nous nous attendons à une aggravation des inégalités sociales pour plusieurs problèmes de santé, dont le Covid. Les comorbidités associées à un risque de forme grave de l’infection – diabète, obésité ou hypertension – sont plus fréquentes chez les plus défavorisés. La vaccination prioritaire pour les personnes souffrant de comorbidité a peut-être changé la donne, mais encore faudrait-il vérifier que les plus démunis aient eu un accès effectif au vaccin.