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Conditions de travail en Europe : la France à la traîne

par Clotilde de Gastines / 29 novembre 2022

Selon la dernière édition de l’enquête européenne sur les conditions de travail, la pandémie de Covid a contribué à dégrader la situation de nombreux salariés. Parmi les 36 pays étudiés, la France affiche un bilan particulièrement négatif.

Parmi les pays européens, la France se situe en queue de peloton en matière de qualité des conditions de travail. C’est l’un des principaux enseignements de la dernière enquête menée sur le sujet par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound). Réalisée en 2021, en pleine pandémie de Covid, cette étude repose sur les interviews de 71 764 Européens, issus des 27 Etats membres de l’Union européenne et de neuf pays « voisins », dont le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse. Elle dresse un bilan des conditions de travail en Europe, en traitant spécifiquement des impacts de la pandémie.
Parmi les répondants, 3 213 Français ont témoigné de leur quotidien. Un quotidien difficile. Ainsi, 5 % des salariés de l’Hexagone considèrent leurs conditions de travail comme extrêmement contraintes, 11 % les caractérisent comme fortement tendues et 22 % comme plutôt tendues, quand 20 % déclarent avoir peu de moyens d’action. Seuls 42 % estiment avoir des moyens suffisants ou de bonne qualité pour exercer leur métier. En conséquence, la France se retrouve en 28e position parmi les 36 pays classés selon l’index de qualité du travail. « Les travailleurs français vivent une situation particulièrement dégradée par rapport aux autres pays, résume Agnès Parent-Thirion, chercheuse à Eurofound et l’une des trois coordonnatrices du rapport d’enquête. La France penche du mauvais côté des conditions de travail. En tous cas, sa performance ne s’est pas améliorée. »

Des travailleurs essentiels mais malmenés

L’étude détaille également les effets sur le travail de la pandémie de Covid. Celle-ci n’a pas épargné les travailleurs dits « essentiels », en France comme partout en Europe. Ces salariés ont été les plus exposés au virus, exerçant leurs métiers dans des conditions difficiles voire extrêmes. En première ligne face à la maladie, les soignants ont été particulièrement exposés à une intensification de leur activité. « D’ailleurs, la crise ne s’est jamais arrêtée pour les soignants, car ils ont ensuite dû gérer la vague des patients dont les soins avaient été repoussés », commente Agnès Parent-Thirion. Les travailleurs de la production, notamment agricole, ou du commerce de première nécessité ont également été très mobilisés.
En moyenne, 39 % des « premiers de corvées » ont dû répondre trois fois plus souvent que les autres professions à des « demandes émotionnelles dérangeantes ». Si, dans ces métiers, le sentiment d’utilité sociale est partie prenante de l’identité professionnelle et peut s’avérer gratifiant, une demande émotionnelle intense et répétée favorise l’émergence de syndromes anxiodépressifs et d’épuisement professionnel. Sans surprise, les indicateurs sont au rouge dans le secteur du soin et de l’aide à la personne : surmenage, épuisement, maladie, démissions. A l’inverse, ceux qui sont restés chez eux pendant les confinements ont été beaucoup plus protégés. Au total, 30 millions de salariés européens ont pu bénéficier de mesures de chômage partiel.

Délais serrés en télétravail

Concernant le télétravail, seuls 20 % des travailleurs ont pu y accéder, en majorité des indépendants, ou des femmes et des jeunes vivant en aire urbaine. Lors du pic de la pandémie, un télétravailleur sur deux a dû répondre à des délais assez serrés. Et cette pression n’a pas fléchi, malgré le retour à la normale. Ainsi, 52 % des Français considèrent qu’ils travaillent encore dans des délais extrêmement serrés, ce qui les place dans le trio de tête juste après les Luxembourgeois et les Britanniques.
« La pandémie a toutefois permis d’adapter les processus de travail et a provoqué un phénomène d’apprentissage, qui a eu des effets positifs surtout pour les plus diplômés », tempère Agnès Parent-Thirion. Au terme de l’enquête, qui s’est prolongée après la fin des confinements, 70 % des répondants disent ainsi éprouver le sentiment d’être reconnus au travail et d’avoir bénéficié de substantielles marges de manœuvres pour s’organiser.

Une dégradation de la situation des femmes

Pour les femmes, en revanche, la crise sanitaire a amplifié les inégalités sur le marché du travail. En l’absence de solutions de garde pour leurs enfants ou les proches en situation de dépendance, elles ont dû prendre le relais, jusqu’à ce que les institutions rouvrent et que la situation épidémique se normalise. Une dégradation de leur situation, qui n’a pas affecté toutes les Européennes de la même manière. Les Françaises en ont relativement moins pâti. Elles ne travaillent que 4 heures de moins que les hommes et accomplissent 7 heures de travail hebdomadaire à domicile non rémunéré par semaine, contre 6 heures de travail en moins et 13 heures de travail domestique en moyenne au niveau européen. « Les Françaises s’en sortent plutôt bien, car les crèches et le système scolaire offrent des journées de prise en charge assez longues et gratuites, ou bon marché », explique Agnès Parent-Thirion.
En revanche, en matière de violences au travail, les Français et Françaises sont dans le trio de tête européen, avec 16 % de la population active exposée alors que la moyenne européenne est de 12,5 %. Dans tous les secteurs d’activité, les femmes y sont davantage exposées : injures, menaces, manifestations d’intérêt sexuel non désiré, harcèlement ou violence physique. « Ce sujet a émergé dans les enquêtes de 2010 et 2015. On peut supposer que la proportion de personnes impactées augmente aussi, parce que les enquêtés en parlent plus librement aujourd’hui », précise la chercheuse. Pour cette dernière, la pandémie a mis les conditions de travail sous le feu des projecteurs. « Il faut que les politiques se saisissent de cette opportunité, car l’amélioration des conditions de travail est un enjeu démocratique, censé permettre aux citoyens de faire société », ajoute-t-elle.