« Considérer les dépenses de prévention comme des investissements »

entretien avec Hélène Garner, directrice du département Travail, emploi, compétences de l’agence publique France Stratégie.
par Joëlle Maraschin / avril 2022

France Stratégie a publié fin 2021 un cahier consacré à la soutenabilité du travail et aux politiques publiques en santé au travail, dont vous avez copiloté l’élaboration. Quels devraient être, selon vous, les axes d’une politique visant   cette soutenabilité ?   
Hélène Garner
: Nous avons besoin de construire des politiques publiques transversales, qui intègrent les cinq dimensions de la soutenabilité du travail : conditions socioéconomiques, conditions de travail, enjeux de santé, équilibre entre temps de travail et de non-travail, satisfaction au travail. Autre priorité : faire de la prévention la matrice des politiques publiques de santé. L’un des leviers est de considérer les dépenses de prévention comme des investissements pour la performance globale de l’entreprise, dépenses qui seront amorties en termes d’absentéisme, de turn-over, de qualité du travail et de vie au travail.  

Quel bilan faites-vous des plans santé au travail (PST) ?  
H. G. : Les PST sont l’expression d’une volonté forte de faire de la santé au travail un objectif de politique publique. Malgré un bilan globalement positif depuis vingt ans, la politique de santé au travail connaît un essoufflement ces dernières années, du fait de la croissance de certaines maladies professionnelles, notamment les troubles musculosquelettiques, et de phénomènes de sous-déclaration et de sous-reconnaissance. De plus, les inégalités sociales de santé restent extrêmement fortes, avec une espérance de vie en bonne santé qui reste très dépendante de l’activité professionnelle exercée. Les objectifs du PST 3 couvraient bien les principaux enjeux de la santé au travail. Le manque de moyens et d’indicateurs de suivi n’a pas toujours permis d’évaluer l’ensemble des actions.   

Votre cahier pointe des risques émergents pour la santé des travailleurs. Sont-ils suffisamment anticipés ?   
H. G. : Ces nouveaux dangers interrogent à la fois le périmètre des risques professionnels mais aussi les modalités d’intervention publique pour les prévenir. Certains sont liés à des mutations organisationnelles et technologiques : contrats très courts, travail à distance, fragmentation des horaires… Les processus d’externalisation de l’activité et de développement de la sous-traitance s’accompagnent aussi d’une plus grande exposition aux risques professionnels des salariés des petites entreprises. Il y a aussi les risques environnementaux. L’impact sur la santé des travailleurs des épisodes climatiques extrêmes ou de la pollution est aujourd’hui bien documenté. Mais ces dangers externes à l’entreprise heurtent la logique de la politique de santé au travail, construite autour de la traçabilité de la responsabilité. Leur anticipation par les pouvoirs publics et les entreprises doit aller de pair avec une réflexion sur les moyens de faire travailler ensemble différents domaines : santé au travail, santé environnementale et santé publique.

A LIRE
  • « Quels défis pour une politique de santé au travail plus soutenable ? », Les cahiers des soutenabilités n°4, France Stratégie, novembre 2021.