Copé et la Fnath campent sur leurs positions

par François Desriaux / avril 2010

Ils se sont heurtés à propos de la fiscalisation des indemnités journalières en cas d'accident du travail, votée en décembre par la majorité. Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, s'explique avec Arnaud de Broca, secrétaire général de la Fnath1

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    La Fnath, Association des accidentés de la vie, représente et défend les intérêts des victimes d'accidents du travail et des handicapés.

La fiscalisation des indemnités journalières (IJ) pour accident du travail ou maladie professionnelle (AT-MP), votée fin 2009, a été présentée comme une mesure d'équité fiscale. Mais elle a été critiquée, jusque dans les rangs de la majorité. Est-ce une mesure juste ?

Jean-François Copé : Oui, c'est une mesure d'équité fiscale. Cette proposition, issue des états généraux de la dépense publique organisés par les députés UMP dans les circonscriptions, répondait à deux principes de justice fiscale. Tout d'abord, traiter les revenus de remplacement de manière équitable entre eux : chômage, arrêt maladie, congé maternité, tous les autres revenus de remplacement sont imposés... Quand quelqu'un se casse la cheville au travail, il ne paie pas d'impôt sur ses indemnités, mais il en paie s'il se la casse chez lui ! Ensuite, il s'agissait de ne pas accepter que les revenus du travail soient davantage fiscalisés que les revenus de remplacement.

Je ne minimise pas les souffrances des accidentés du travail. C'est pourquoi nous avons tenu compte de la spécificité de l'indemnisation des victimes en prévoyant que les indemnités versées ne seraient fiscalisées qu'à hauteur de 50 %. Par ailleurs, les rentes d'invalidité permanente demeurent non fiscalisées et je rappelle qu'un foyer non imposable le restera ! Enfin, nous n'avons pas l'esprit de justice sélectif : nous avons aussi supprimé l'exonération de charges sociales de 30 % sur la rémunération des sportifs les mieux payés.

Arnaud de Broca : Non, en dépit de ce que vous affirmez, cette mesure n'est pas juste. Elle continue d'ailleurs de susciter une solide opposition, car elle vient conforter l'injustice qui touche les victimes du travail. Ainsi, comment pouvez-vous justifier cette différence de traitement avec les personnes en affection de longue durée (ALD), dont les IJ demeurent - et à juste titre - non fiscalisées ? Pourtant, les victimes du travail peuvent être en arrêt pendant des semaines, des mois, voire des années, avant d'être consolidées et de pouvoir bénéficier d'une rente1 . Pendant cette période, elles ne percevront aucune autre indemnisation.

Au-delà de cette question de fond, sur laquelle nous ne nous mettrons pas d'accord, c'est bien la forme qui a suscité de multiples incompréhensions. Ainsi, vous avez répété à de nombreuses reprises, y compris pendant le débat à l'Assemblée, que cette mesure ne concernerait que les arrêts de courte durée, c'est-à-dire de moins de 28 jours. C'est faux ! De même, les exemples cités, notamment celui de l'entorse, sont bien loin de la réalité des accidents du travail. Je suis heureux que vous ne souhaitiez pas minimiser la souffrance des accidentés du travail, car tel est bien le cas de la législation actuelle, qui ne l'indemnise pas intégralement.

La Fnath, Association des accidentés de la vie vient de publier un livre blanc, avec une quinzaine de mesures destinées à améliorer la réparation des victimes d'AT-MP, précisément au nom de l'équité2 . C'est la réponse du berger à la bergère ?

A. DE B. : L'objectif premier de ce livre blanc, c'est la pédagogie. Au cours du débat sur cette fameuse fiscalisation des indemnités journalières et des nombreux contacts que nous avons eus avec les parlementaires, toutes tendances politiques confondues, nous avons mesuré combien c'était nécessaire, tant le système de réparation des accidents du travail est complexe. Les victimes du travail sont aujourd'hui les seules à ne pas être intégralement indemnisées de leurs préjudices, même après des années de procédure en faute inexcusable de l'employeur. Il est temps de réformer ce système dépassé, qui date quand même de 1898 !

Notre livre blanc dresse donc également 15 propositions concrètes destinées à améliorer, notamment, la prise en charge de la tierce personne, le calcul de la rente, la reconnaissance des maladies professionnelles, la faute inexcusable de l'employeur, le sort des ayants droit des victimes décédées... Nous nous situons ainsi dans le droit fil de l'accord signé entre les partenaires sociaux en 2007, visant à améliorer la réparation forfaitaire. Pour la Fnath, la coproduction législative qui vous est chère, Monsieur Copé, doit pouvoir s'appliquer pleinement à ce sujet.

Et je vous prends au mot sur l'équité : en tant que président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, je ne doute pas que vous aurez à coeur de soutenir la proposition de loi sur l'indemnisation des victimes du travail, annoncée par votre collègue Marie-Anne Montchamp et préparée avec d'autres députés de la majorité.

J.-F. C. : Je vous rassure, la coproduction législative n'est pas un vain mot pour moi ! J'avais missionné les députés Guy Lefrand et Geneviève Lévy pour travailler sur l'indemnisation des accidentés corporels. Leurs recommandations ont donné lieu à une proposition de loi qui vient d'être adoptée par l'Assemblée nationale. Grâce à cette modification de la loi Badinter de 1985, les victimes pourront mieux faire valoir leurs droits à réparation intégrale.

Par ailleurs, afin de mieux prévenir les accidents du travail, nous avons voté dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010 un système de bonus-malus afin d'inciter les entreprises à s'engager dans une démarche de prévention. Pour nous, il s'agit donc de réaffirmer que la force et la richesse de la France, c'est son capital humain !

S'agissant de la réparation des victimes du travail, je suis avec intérêt les travaux que mène Marie-Anne Montchamp sur l'amélioration du système d'indemnisation. Lorsque ceux-ci seront achevés, nous en discuterons.

Suicides à France Télécom, chez Renault : " la France qui se lève tôt ", que le président de la République avait mise en avant dans sa campagne, est à la peine. Les deux groupes parlementaires de la majorité ont organisé une commission de réflexion sur la souffrance au travail et trois rapports sont en préparation, en plus du plan d'urgence lancé par le ministère du Travail. La valeur travail n'est-elle pas bousculée ?

J.-F. C. : La valeur travail reste à mes yeux fondamentale. La commission de réflexion sur la souffrance au travail, que j'ai animée aux côtés de directeurs des ressources humaines, de médecins du travail et de représentants des partenaires sociaux, a d'ailleurs bien réaffirmé que nous refusions l'amalgame entre travail et souffrance.

Aujourd'hui, j'ai la conviction qu'après le " travailler moins " puis le " travailler plus ", il est temps de tout faire pour " travailler mieux " ! Cela passe par l'amélioration des conditions de travail ; à cet égard, le rôle du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) doit être revalorisé. Mais cela passe aussi par le renforcement du dialogue social et un management qui associe mieux les salariés à la conduite de l'entreprise. Il faut ainsi réhabiliter la notion d'équipe, faire davantage confiance à la personne dans son travail, passer d'une gestion à une valorisation des ressources humaines. Enfin, il est impératif de faire connaître les bonnes pratiques, ne serait-ce que pour ne plus parler de souffrance mais de bien-être au travail !

Je note que le rapport Lachmann-Larose-Pénicaud3 va dans le même sens. Maintenant, l'heure de l'action a sonné. Nous, parlementaires, serons très attentifs à la réforme de la médecine du travail que proposera le gouvernement.

A. DE B. : La valeur travail est effectivement bousculée, et cela ne date pas des récents suicides qui ont défrayé l'actualité. Les conditions de travail se dégradent, sans compter l'impact des restructurations. En tant que représentant de la principale association de victimes du travail, je ne peux que me réjouir de l'implication de plus en plus forte des parlementaires sur ce sujet. Il me semble effectivement indispensable de revaloriser le rôle des CHSCT, mais aussi de prévoir une véritable représentation des salariés dans les petites entreprises. Quant à la réforme de la médecine du travail, j'ai lu avec intérêt vos propositions pour renforcer son indépendance et rénover son mode de financement. J'espère que vous transformerez l'essai lors du prochain débat législatif.

L'année 2010 est annoncée comme le grand rendez-vous des retraites. En 2003, l'allongement de la durée de cotisation était assorti d'une négociation sur la pénibilité. Celle-ci a échoué et la balle est dans le camp du gouvernement. Ne faut-il pas solder ce dossier, avant de remettre sur le tapis un nouvel allongement de la durée de cotisation ?

A. DE B. : Après l'échec des négociations entre les partenaires sociaux, il appartient au Parlement et au gouvernement de prendre la main sur le sujet de la pénibilité, qui ne peut être dissocié de l'éventuel allongement de la durée de cotisation. Il convient de permettre à ceux qui ont exercé des métiers pénibles (travail posté, port de charges lourdes, exposition à des cancérogènes) de partir plus tôt en retraite, pour tenir compte de leur espérance de vie réduite en raison de leurs conditions de travail. Les ouvriers vivent six ans de moins que les cadres : il n'est donc pas acceptable de faire partir en retraite tout le monde au même âge. Mais on ne doit pas non plus faire abstraction de l'autre volet du dossier : l'amélioration des conditions de travail, en particulier des seniors, qui cumulent des conditions de travail pénibles et un état de santé dégradé. Nombreux sont les travailleurs qui font l'objet d'une procédure de licenciement pour inaptitude, sans aucune perspective de reclassement.

J.-F. C : La réforme des retraites est un rendez-vous de courage politique ! Comment faire pour assurer la pérennité de notre système de retraite par répartition, alors que nous sommes confrontés à de lourds déficits (9,5 milliards d'euros en 2009) et à de nouveaux équilibres démographiques ? Comme il n'est pas question de jouer sur le montant des pensions, dont certaines sont déjà très modestes, tous les autres paramètres doivent être examinés sans tabou. Avec les députés UMP, nous irons à la rencontre des Français et nous recueillerons leurs contributions sur le site Internet www.sauvons-les-retraites.fr

S'agissant de la pénibilité, il faut l'appréhender d'une façon plus globale que la retraite, d'abord en prévenant les risques tout au long de la carrière pour éviter une éviction précoce du marché du travail. Je constate que les partenaires sociaux se sont uniquement entendus sur la définition de facteurs de pénibilité. J'espère que la concertation annoncée par le président de la République s'appuiera utilement sur les travaux conduits par le député Jean-Frédéric Poisson4 pour permettre une prise en compte réelle de ce phénomène. ?

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    La consolidation correspond à l'état de stabilisation d'une maladie ou d'une lésion, stade à partir duquel il est possible de déterminer l'incapacité de la victime, et donc sa rente.

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    Livre blanc pour l'amélioration de l'indemnisation des victimes du travail, Fnath, janvier 2010. Accessible sur le site Internet www.fnath.org

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    Bien-être et efficacité au travail. 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail, par Henri Lachmann, Christian Larose et Muriel Pénicaud, rapport remis au Premier ministre en février 2010. Voir article page 14.

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    Voir Santé & Travail n° 63, juillet 2008, page 52.