© Nathanaël Mergui/Mutualité française
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Covid-19 : consultation raccourcie du CSE

par Frédéric Lavignette / 07 mai 2020

Les procédures d’information et de consultation du CSE à propos des décisions des entreprises relatives au Covid-19 se sont accélérées depuis une ordonnance et un décret du 2 mai. Directement impliqués, les experts agréés livrent leur point de vue. 

Il ne faudra pas traîner ! Le gouvernement vient de raccourcir les délais de consultation du comité social et économique (CSE), des expertises éventuelles et de la transmission de l’ordre du jour et des documents par l’employeur aux élus (voir encadré). Une ordonnance et un décret datés du 2 mai sont venus préciser ces nouvelles dispositions dérogatoires au Code du travail. Nuance de taille, ces nouveaux délais ne sont applicables que lorsque l’information ou la consultation du CSE « porte sur les décisions de l’employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 », est-il écrit dans l’article 1 du décret. Et cette mesure dérogatoire ne sera en vigueur que jusqu’au 23 août. Deux points importants sur lesquels, selon nos informations, organisations syndicales et cabinets d’experts ont bataillé ferme pour circonscrire les modifications initialement envisagées par le gouvernement.

Les nouveaux délais

Alors que le délai légal de consultation du CSE était jusqu’ici de un mois, le décret du 2 mai pris dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire ramène celui-ci à huit jours. Mais cela ne concerne que les informations et consultations relatives aux « décisions de l’employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 ». 
Si l’intervention d’un expert est nécessaire, le délai de consultation passe de deux mois à onze jours (douze jours pour le CSE central). Lorsque plusieurs experts sont appelés à intervenir, à la fois au niveau du comité central et d’un ou plusieurs comités d’établissement, le délai de consultation autorisé n’est plus de trois mois, mais de douze jours. 
Lorsqu’ils seront sollicités, les experts devront dès lors agir dans l’urgence. Au lieu des trois jours requis pour demander à l’employeur les informations complémentaires à la réalisation de leur mission, ils n’auront plus que 24 heures. Pour notifier à l’employeur le coût prévisionnel de son expertise, son étendue et sa durée, le professionnel devra intervenir dans les 48 heures, contre dix jours auparavant. Par ailleurs, le délai entre la remise du rapport d’expertise et l’expiration des délais de consultation du comité s’est réduit de dix jours à 24 heures. Pour ce qui est de l’employeur, il disposera de 24 heures et non plus cinq jours pour répondre à l’expert. S’il souhaite saisir le juge en cas de recours, il doit non plus le faire dans les dix jours, mais sous 48 heures. 
En application de la loi d’urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, une ordonnance a également été présentée par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, lors du Conseil des ministres du 2 mai. Le texte prévoit que la communication de l’ordre du jour par l’employeur aux membres du CSE s’effectuera deux jours calendaires avant la réunion, au lieu de trois. Les membres du CSE central seront, quant à eux, prévenus non plus huit jours auparavant, mais seulement trois.

« Les représentants du personnel seront écoutés »

Du coup, les dispositions donnent lieu à diverses interprétations chez les experts. Pour schématiser, les cabinets réunis au sein du Syndicat des experts agréés (SEA) – qui ont, semble-t-il, œuvré à « limiter la casse » – sont plutôt satisfaits du résultat ; en revanche, du côté de l’Association des experts agréés et intervenants auprès des CHSCT (Adeaic), on se montre beaucoup plus réservé.
« L’un des côtés positifs du décret, observe François Cochet, directeur des activités santé au travail du cabinet Secafi, c’est de rappeler qu’une entreprise a le devoir de consultation du CSE pour sortir du confinement et organiser la reprise d’activité en sécurité. A cela s’ajoute le fait que le comité peut se faire aider d’un expert, ce qui n’est vraiment pas la tendance spontanée des CSE. Les représentants du personnel qui s’engageront dans cette consultation seront, je pense, écoutés. Le redémarrage de l’entreprise suppose que les travailleurs soient suffisamment rassurés. Peut-on imaginer qu’ils le soient avec un avis unanimement négatif du CSE ? » 
Si l’influence des élus des CSE se voit théoriquement diminuée par la réduction proportionnelle de tous les délais, l’avantage n’est pas pour autant donné aux employeurs, estime ce responsable du SEA : « Un certain nombre d’entre eux se seraient d’ailleurs volontiers passés de ces informations-consultations. »

Vers un rapport de force défavorable aux salariés ?

Nicolas Spire, sociologue du travail au sein du cabinet Apteis, se montre plus critique. Avec ces textes, s’inquiète-t-il, « on s’assoit sur le peu de droits qu’il reste aux représentants du personnel. La formulation du décret est suffisament vague pour que, dans la période, n’importe quel projet de réorganisation puisse être concerné par ces nouvelles conditions ». Et de poursuivre : « On se demande bien ce que des représentants du personnel, même très actifs ou de très bonne volonté, vont avoir le temps d’aller examiner en quelques jours du point de vue de la sécurité des conditions de reprise du travail. Et l’idée de prétendre faire réaliser une expertise en huit ou dix jours n’a tout simplement aucun sens du point de vue de notre métier. » Quant à la date butoir du 23 août, elle laisse le représentant de l’Adeaic dubitatif, car le gouvernement pourrait aisément prendre un nouveau texte prolongeant celui-ci. Au travers de telles situations d’exception, juge-t-il, « on laisse s’installer de façon sous-jacente dans le monde du travail un rapport de force où l’employeur décide et les salariés obéissent, sans que les représentants du personnel n’aient vraiment leur mot à dire ». 
Il est clair que la période de la reprise de l’activité risque d’être propice à un certain débridement pour rattraper le retard. Les représentants du personnel ont par conséquent intérêt à se faire aider et à se montrer vigilants sur les conditions de travail en temps d’épidémie.