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Covid-19 : des internes s’organisent pour monter au front

par Elsa Fayner / 20 avril 2020

Déjà malmenés par la pénurie de moyens à l’hôpital, les internes parisiens se sont pris en main pour aller soutenir les services débordés par l’épidémie de Covid-19. Ils ont aussi renforcé la prise en charge de ceux d’entre eux qui souffrent de cette situation inédite et anxiogène.

Dès son premier jour en service de réanimation, une interne a dû pratiquer trois toilettes mortuaires. C’est Antoine Berrot qui le raconte. Membre de la cellule SOS du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP), il accompagne les jeunes soignants en souffrance dans leur travail. Depuis le début de la crise du Covid-19, les demandes d’aide se font plus nombreuses. Car, pour répondre au manque de personnel médical, l’intersyndicale composée avec le Syndicat représentatif parisien des internes de médecine générale (SRP-IMG) s’est organisée pour recenser les volontaires disponibles et les envoyer en renfort dans les hôpitaux d’Ile-de-France.

1 800 volontaires

« On compte 6 000 internes en Ile-de-France, un sixième des internes du pays, rappelle Julien Fleuriot, président du SIHP. Quand nous avons compris que les hôpitaux franciliens allaient manquer de bras, nous nous sommes organisés tous seuls. Nous avons d’abord fait appel à ceux qui avaient une activité réduite, leurs services étant moins sollicités. » Très vite, 1 800 médecins en formation se sont portés volontaires. En trois semaines, 1 500 d’entre eux ont été redéployés sur l’ensemble du territoire francilien. « Parallèlement, nous avons recruté des internes référents dans les centres hospitaliers qui ont une activité de réanimation, d’urgences ou d’hospitalisation Covid », poursuit le président du syndicat. Actuellement, 220 référents, dans plus de 80 centres hospitaliers, « remontent la température en temps réel dans leur établissement : les besoins urgents pour maintenir l’activité dans les unités particulièrement sollicitées, les cas de médecins contaminés ou épuisés, les ouvertures de lits, etc. ».

Esprit de corps et solidarité

Le SIHP est en lien avec des hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) mais également avec ceux qui n’en font pas partie : « L’AP-HP gère beaucoup de cas de Covid mais pas tous. Or il faut aussi s’occuper des structures semi-privées, et de celles de la grande couronne, souvent oubliées », détaille Julien Fleuriot. Quant à l’Agence régionale de santé (ARS), « elle n’a d’abord pas répondu, elle était complètement dépassée ». Pourtant, alors que des internes se rendaient directement dans les services, il fallait encadrer ces renforts, définir qui les paierait, etc. « Nous avons mis dans la boucle, outre l’ARS et l’AP-HP, les responsables des diplômes, les doyens des universités… Et aujourd’hui l’ARS nous délègue complètement l’organisation des renforts d’internes en Ile-de-France », se félicite le jeune praticien, qui estime que si le syndicat a pu réagir aussi vite et avec autant d’efficacité, c’est grâce à « l’esprit de corps » et au « maillage de base » préexistant entre internes. « On se connaît tous, on avait déjà des référents par spécialités... »
C’est que l’entraide et la solidarité sont indispensables, car les internes sont souvent malmenés par l’organisation de l’hôpital. « Notre statut n’a pas évolué depuis des décennies, se plaint le président du syndicat. Nous sommes à la fois médecins et étudiants mais n’avons que les inconvénients des deux côtés : notre temps de travail n’est pas calculé, notre formation théorique est restreinte, l’encadrement est souvent défaillant. » 

« Ni contrat de travail, ni médecine du travail »

C’est le même état d’esprit d’entraide qui avait présidé, dès 2015, à la création de l’association SOS SIHP, rattachée au SIHP, pour les internes qui avaient besoin d’aide. « Quand je suis arrivée au syndicat, il n’y avait pas de dispositif spécifique pour accompagner les internes, se souvient Mélissa Menetrier, aujourd’hui médecin du travail. Il faut savoir que les internes n’ont ni contrat de travail, ni médecine du travail. Comme j’étais interne dans cette spécialité, j'étais souvent chargée de répondre aux appels que recevaient les secrétaires du syndicat, ce qui ne permettait pas toujours une réponse rapide. Puis est arrivée au bureau une interne en psychiatrie, Leslie Grichy, qui a réellement mis en place cette cellule. »
Concrètement, les jeunes soignants peuvent appeler ou envoyer un mail à SOS SIHP. Les cinq membres de l’équipe, eux-mêmes internes, s’engagent à répondre dans les 48 heures – 24 heures actuellement – pour un premier échange téléphonique. Si besoin, la personne en souffrance est orientée vers un psychiatre, un psychologue ou d’autres professionnels de santé, plusieurs services de psychiatrie de la région parisienne participant au dispositif. La consultation est gratuite et la prise de contact anonyme. Les membres de la cellule rappellent la personne pendant deux ou trois semaines pour prendre des nouvelles.
Habituellement, SOS SIHP reçoit jusqu’à cinq demandes par mois. « Au premier appel, nous laissons l’interlocuteur décrire la situation, puis nous avons une liste de questions, classiques en psychiatrie, sur l’isolement, le sentiment d’anxiété, les pensées suicidaires, etc., explique Antoine Berrot, lui-même interne dans cette spécialité. Nous nous basons sur les six facteurs de risques psychosociaux proposés par l’INRS [Institut national de recherche et de sécurité]. Le milieu hospitalier expose à plusieurs de ces risques, voire à tous, en fait. » 

« Sentiment d’impuissance et de colère »

En ce moment, les demandes sont plus nombreuses, sans exploser non plus. Huit la première semaine du confinement. Un peu moins par la suite. « Peur de se contaminer, de contaminer les proches ou les malades », « peur après le placement en réanimation de deux internes » et « sentiment d’impuissance et de colère face à la pénurie de matériel », énumère Antoine Berrot. 
Autre source d’inquiétude : le changement de lieu de stage. Celui-ci a lieu habituellement début mai, mais, cette année, il va être décalé pour garder dans les unités sous pression les personnels formés. « Certains nous ont confié qu’ils tenaient le coup parce qu’ils pensaient pouvoir quitter leur service bientôt. Il ne leur paraît pas possible de continuer, ni physiquement ni psychiquement », relate le jeune praticien. Il se prépare à recevoir davantage d’appels, même si, pour l’heure, « les internes ont le sentiment de devoir être utiles, performants, de ne pas se relâcher, encore moins avec la reconnaissance qui émane de toute la société ». 
L’association a donc décidé de renflouer l’équipe, avec 90 volontaires venant de psychiatrie, mais aussi de médecine générale, de cancérologie, ou étant en année de disponibilité. Chaque jour, deux d’entre eux sont de permanence. Une psychologue se tient également disponible pour superviser les membres de la cellule qui en auraient besoin. Le cas s’est présenté récemment. « Ce n’est pas simple de trouver la distance suffisante, reconnaît Antoine Berrot. Pas facile d’accompagner un pair sans s’identifier. »