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Covid-19 : l’Inspection du travail très remontée contre son ministère

par Clotilde de Gastines / 23 avril 2020

L’épidémie de Covid-19 a aggravé les tensions entre l’Inspection du travail et sa tutelle. Les agents de contrôle réclament les moyens d’exercer leur mission ainsi que le respect de leur indépendance. Après la suspension d’un inspecteur, le ministère du Travail tient désormais un discours d’apaisement.

Dans un communiqué envoyé à la presse hier, mercredi 22 avril, le ministère du Travail « demande à l’Inspection du travail de renforcer le nombre et l’efficacité des contrôles sur site, pour garantir la santé et la sécurité des salariés et l’information des entreprises ». Il assure également que les agents disposeront bientôt de masques, de gants et de gel hydroalcoolique. La direction générale du Travail (DGT) confirme que « les masques sont arrivés lundi dans 96 unités territoriales sur 104, parce que jusque-là ils avaient été priorisés vers les hôpitaux ».

« On s’adapte »

« On s’adapte, reconnaît la direction clé du ministère. On trouve des méthodologies pour faire face à une situation exceptionnelle d’état d’urgence sanitaire, pour que les agents puissent intervenir le plus efficacement possible et le faire de manière plus coordonnée au niveau national, comme cela a été le cas avec Amazon et Fedex. » Une ordonnance de référé a en effet contraint Amazon à fermer plusieurs entrepôts le temps que les risques liés au Covid-19 soient évalués.
Le communiqué du ministère souligne aussi l’effort fourni par ses 4 500 agents, dont 2 000 inspecteurs, pour assurer la « continuité du service public ». Il met ainsi au crédit des agents d’avoir envoyé « de nombreuses lettres d’observations » lorsque les contrôles ont pu révéler des « carences graves quant à l’évaluation des risques ». Il comptabilise 42 mises en demeure enjoignant des employeurs « à mettre en œuvre les prescriptions sanitaires et mesures de prévention indispensables, sous peine de PV et de transmission au parquet » et signale que « plusieurs procédures de référés ont été engagées devant les tribunaux ». 

« Des menaces de la part de leurs hiérarchies »

Ces propos pourraient a priori être rassurants pour les inspecteurs, qui se sont plaints que le gouvernement les utilise comme VRP auprès des entreprises pour forcer la poursuite de l’activité économique. « Les agents ont parfois reçu des menaces extrêmement fermes de la part de leurs hiérarchies, qui les ont contraints à s’excuser auprès des entreprises auxquelles ils avaient pu envoyer des courriers, dénonce Julien Boeldieu, de la CGT. Certains directeurs ont même retiré leurs attestations de déplacement dérogatoire aux agents pour éviter qu’ils ne fassent des contrôles. » Depuis le début du confinement, les agents pouvaient pourtant se déplacer munis de leur carte professionnelle, selon une circulaire du ministère de l’Intérieur, exhumée par la FSU lundi dernier. Pour la DGT, qui assume un « discours d’apaisement », « ce ne sont que des rappels à l’ordre légitimes suite à des interventions hors du cadre légal fixé par les instructions ». Elle regrette tout de même que les agents ne soient pas toujours disciplinés.
La semaine dernière, ces tensions ont atteint un paroxysme avec le dépôt d’une plainte par quatre syndicats auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT). « Ce communiqué du ministère est un contre-feu face à la mobilisation qui monte », constate Pierre Mériaux de la FSU, qui a rédigé la plainte en intersyndicale avec CGT, SUD et la CNT. La suspension, mercredi dernier, d’Anthony Smith, inspecteur du travail dans la Marne, a provoqué un tollé médiatique. Celui-ci exigeait qu’une association fournisse des masques FFP2 à ses aides à domicile s’occupant de personnes âgées. Réclamant la levée immédiate de la sanction, une pétition sur change.org a déjà récolté près de 100 000 signatures.

Des modalités de contrôle contestées

Si le communiqué de presse d’hier soir semblait annoncer un revirement, la nouvelle circulaire de la DGT, dont Santé et Travail a eu connaissance, ne modifie pas les modalités de contrôle édictées dans la note du 30 mars dernier, qui sont fortement contestées sur le terrain. Un inspecteur du travail ne pourra toujours pas effectuer de contrôle inopiné, car l’intervention sur site se fera seulement après « un contact établi avec l’entreprise et les représentants du personnel ». Par ailleurs, la DGT confirme la mise en place d’un « échange préalable » avec le responsable d’unité de contrôle ou le responsable départemental.
Ces interventions se limitent toujours à certains cas de figure : les accidents du travail graves ou mortels ; l’exercice d’un droit d’alerte en cas de danger grave et imminent ; les atteintes à l’intégrité physique et morale des travailleurs, à leur dignité, aux droits fondamentaux (traitements inhumains, hébergement indigne, etc.) ; enfin, les manquements aux consignes sanitaires dans les commerces de détail légalement ouverts au public de nature à compromettre la santé des salariés.