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Covid-19 : des marins au bout du rouleau

par Martine Rossard / 17 février 2022

Durées d’embarquement prolongées jusqu’à l’extrême, quarantaines et autres protocoles sanitaires… Après deux ans de pandémie, les navigants du transport maritime vivent encore des conditions de travail difficilement supportables.

« Trouver un équilibre entre travail à bord et préservation de la santé physique et psychologique des marins. » Telle est l’ambition annoncée le 9 février par la ministre de la Mer, Annick Girardin, lors d’un colloque européen organisé à La Rochelle, dans le cadre de la présidence française de l’Union. Une nécessité pour des navigants exposés au surmenage, à l’anxiété et aux ajournements répétés de relèves d’équipage, qui se sont aggravés depuis deux ans avec le Covid-19.
La ministre a aussi préconisé l’instauration de corridors sanitaires, l’harmonisation des conditions sociales au niveau européen et le respect des durées maximales de navigation. Objectifs ? Trouver une solution aux fermetures de ports ou aux interdictions de débarquer et d’embarquer, encore en vigueur dans certains pays à cause de la crise sanitaire. Et combattre le dumping social qui fait rage, à travers les pavillons de complaisance, dans la navigation au long cours : des marins, protégés par un droit social national, cohabitent avec ceux relevant de conventions internationales, moins favorables et dont l’application n’est pas obligatoire, ou avec ceux régis par les seules règles, minimalistes, de l’Organisation internationale du travail.

Retenus à bord pendant plus d’un an

Avec la pandémie, la dérégulation sociale s’illustre de façon dramatique, avec des durées d’embarquement prolongées au-delà des limites légales, faute de relèves d’équipages. Un triste sort partagé par quelque 400 000 marins, quand les pays se sont barricadés et que les transports aériens ont été paralysés. « En 2022, des marins de droit français restent encore bloqués jusqu’à six mois à bord au lieu des trois mois maximum d’embarquement, en raison de ports fermés en Asie et Amérique », confie Jean-Philippe Chateil de la Fédération CGT des officiers de la marine marchande. Et, poursuit-il, « des marins étrangers embauchés pour onze mois maximum subissent des prolongations de plusieurs mois voire des suspensions de salaire, sources de tensions et de tentatives de suicides ». Corine Archambaud, inspectrice CFDT de la Fédération internationale des travailleurs des transports, basée au Havre, a dû intervenir en faveur de marins malgaches ou philippins retenus à bord depuis dix-huit mois. Un vécu difficile pour tous ces professionnels de la mer bloqués : souvent sans accès aux soins, sans rapatriement organisé à la fin du contrat, sans possibilité de rejoindre une famille elle-même confrontée à la pandémie… Même des marins décédés à bord n’étaient pas débarqués. Sans compter des quarantaines insupportables, enfermés à l’hôtel, voire dans des casernes ou des cités universitaires, avec des repas déposés derrière les portes.

Explosion des troubles psychologiques

Des réunions tripartites entre syndicats français de marins, employeurs et la direction des Affaires maritimes ont permis de débloquer des situations critiques. « Un dialogue social productif au niveau national », juge Pierre Maupoint de Vandeul, président de la CFE-CGC des officiers de marine, qui souligne aussi un bon travail des CSE sur les plans de prévention Covid-19 ou la mise en place du chômage partiel chez plusieurs armateurs.
Le Centre ressource d’aide psychologique en mer (Crapem), ouvert dès mars 2020 à Saint-Nazaire pour les navigants et leur famille, a vu affluer les appels. Une centaine de patients a été comptabilisée en 2021. Selon Camille Jego, la coordinatrice, « la prolongation des durées d’embarquement, le confinement et l’éloignement ont provoqué burn-out, troubles psychologiques et risques suicidaires chez les marins au long cours, une population surexposée aux risques traumatiques ». Le Centre de consultation médicale maritime, créé en 1983 et basé à Toulouse, dirige vers le Crapem les marins dont les pathologies ne relèvent pas de ses compétences. Depuis le début 2020, le centre toulousain - joignable 24 heures sur 24 par téléphone satellitaire - a été sollicité pour une trentaine de foyers de contamination et a suivi quelque 400 malades du Covid-19. Malgré la chute du trafic des ferries et de la grande plaisance, la pandémie a provoqué une hausse de 10 % des appels, concernant toutes les pathologies possibles mais aussi les accidents du travail, les naufrages, les secours en mer. Et ce, pour les marins de navires français ou ceux des bateaux croisant dans les eaux françaises. Début 2022, deux clusters étaient encore en cours, signale le Dr Patrick Roux, responsable du centre.  

Un accès à la vaccination compliqué

Travailleurs de seconde ligne indispensables à la poursuite du transport maritime, les marins souhaitaient être reconnus comme essentiels et prioritaires pour la vaccination. Les appels en ce sens des syndicats et organisations patronales, françaises et mondiales, n’ont été entendus que partiellement et tardivement. En France, des navigants ont pu convaincre des centres de vaccination. Des centaines d’autres ont bénéficié d’une campagne lancée à leur intention par les marins-pompiers de Marseille. Mais certains, en mer ces derniers mois, craignent encore des problèmes aux frontières faute d’un schéma vaccinal complet.
Les péripéties subies depuis 2020 incitent certains professionnels de la marine marchande à changer de métier ou à passer à temps partiel, confient des syndicalistes. La préservation de la vie personnelle et l’allongement de la durée des congés à terre devraient être dans les prochains mois au centre des négociations sociales du secteur.