Nathanaël Mergui/Mutualité française
Nathanaël Mergui/Mutualité française

Covid-19 : syndicats et patronat préparent un protocole de bonnes pratiques

par Eliane Patriarca / 20 mars 2020

Trop de salariés contraints de travailler ne sont pas suffisamment protégés du coronavirus. Confrontés à l’inquiétude, aux pressions sur l’emploi d’un côté et aux menaces d’utilisation du droit de retrait de l’autre, les partenaires sociaux négocient un accord.

Assaillis d’appels venant de salariés inquiets, les syndicats réclament l’application des « mesures barrières » nécessaires à leur protection et à l’endiguement de l’épidémie de Covid-19. Hier, les cinq confédérations syndicales et les trois organisations patronales1 ont solidairement « appelé pouvoirs publics et entreprises à mettre en œuvre les moyens indispensables à la protection de la santé des salariés devant travailler ». Elles planchent actuellement sur un protocole d’accord afin de fixer des bonnes pratiques, identiques d’un établissement à l’autre. Car chaque jour qui passe montre une hétérogénéité préoccupante dans le respect des mesures minimales de prévention, de télétravail, du droit de retrait et de l’arrêt ou du maintien de l’activité selon les secteurs d’activité, les entreprises et leurs dirigeants.

« Aucun équipement de protection »

« Nous sommes des salariées oubliées. » Dans la voix de Nella Dosnet, aide à domicile à Clermont-Ferrand, se mêlent fatigue et colère. Ce jeudi 19 mars, elle travaille chez une jeune femme handicapée à la suite d’une rupture d’anévrisme. Nella Dosnet fait partie de ces Français pour lesquels le télétravail n’est pas une option et qui doivent continuer à se déplacer pour accomplir leur activité professionnelle en dépit de l’épidémie. « A domicile, on ne fait pas que le ménage, souligne-t-elle. On fait la toilette de la personne, on la change, on la lève, on la couche. En pratique, c’est un travail d’aide-soignant. Pourtant nous n’avons toujours aucun équipement de protection ! » Ni gel hydroalcoolique, ni masques, ni gants. Déléguée syndicale CFDT, elle a envoyé « un courrier salé » à son employeur, troisième groupe français du secteur de l’aide à la personne (14 500 salariés), qui intervient en maison de retraite, résidence médicalisée ou au domicile. En vain. « La direction a seulement suspendu toutes les missions relevant du seul ménage. » Quant au droit de retrait, Nella Dosnet n’y songe même pas : « Si je ne vais pas chez cette jeune femme handicapée, elle ne sera pas levée, ni lavée ! » Il lui faut continuer, malgré la boule au ventre.

Ces entreprises qui ne jouent pas le jeu

L’anxiété a envahi très vite les salariés contraints de travailler, parce qu’ils sont dans des secteurs d’intérêt général ou parce que leur employeur ne leur laisse pas le choix, même s’il n’a pas pris tous les moyens de prévention qui s’imposent. Au micro de France Inter, mercredi 18 mars, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a dénoncé « l’insuffisance des barrières de protection, notamment dans la distribution alimentaire, les services à domicile, les chauffeurs de la répartition pharmaceutique mais aussi la pénitentiaire » ou dans les hôpitaux « pour les personnes qui font le nettoyage ». Le leader de la CFDT a aussi épinglé les entreprises qui « ne jouent pas le jeu en termes de prise d'arrêts maladie et d'indemnités journalières pour les gardes d'enfants, en faisant pression sur les salariés ». C’est le cas de cet hypermarché Leclerc près de Nancy (Meurthe-et-Moselle). « Quand ils demandent à prendre les 14 jours auxquels ils ont droit pour garder leurs enfants, la direction leur explique qu’ils risquent de perdre 4 à 5 jours et qu’elle ignore quand ces indemnités pourront être versées, témoigne Stéphane Petitdemange, délégué syndical CFDT. Quand on a un petit salaire, entre 800 à 900 euros par mois, ça fait réfléchir ! La plupart des femmes, qui représentent la majorité du personnel, ont préféré confier leurs enfants à une nourrice, de peur de se faire mal voir, de perdre leurs revenus. La direction craint plus que tout de manquer de bras ! »
Dans tout le pays, les entreprises paniquent en effet, redoutant la mise en péril de l’activité, faute de salariés, confinés chez eux ou recourant massivement au droit de retrait. En Isère, les facteurs adhérents de SUD PTT ont dû instaurer un rapport de force par l’exercice de ce droit – quand bien même la direction le leur refuse au nom de la continuité du service public – pour obtenir une diminution des tournées et un nombre limité de personnes présentes en même temps pendant le tri.
Même le télétravail, pourtant préconisé par le gouvernement, effraie certains employeurs. Des agences de la banque LCL à Lyon ou du Crédit Mutuel à Strasbourg ont refusé des demandes de travail à distance soumises par des conseillers ou des informaticiens. La fédération CGT des banques et assurances a alerté jeudi 19 mars les ministres de l’Economie et de la Santé sur des pratiques « alarmantes » au regard de l’épidémie. « Dans des entreprises de nos secteurs, peut-on lire dans ce courrier, malgré des salariés malades, la direction n’a pas renvoyé les personnes contacts en quatorzaine. Sur les plateformes téléphoniques, les distances entre deux travailleurs ne sont souvent pas respectées. Les locaux ne sont pas désinfectés. »

Le droit de retrait contesté

L’ambiguïté des mesures annoncées par les autorités, le flou dans les consignes, le fameux « en même temps » laissant les entreprises – au contraire des commerces et des restaurants – libres de maintenir ou non leur activité génèrent l’angoisse et l’incompréhension des salariés. Pour Amar Lagha, secrétaire général de la fédération CGT du commerce et des services, « il faut bien sûr continuer à assurer la production mais pas au détriment de la santé des travailleurs et de leurs proches. Si on parle de guerre, on n’envoie pas les soldats au front sans munitions ». Il se dit très préoccupé par la situation des caissières : « Elles voient défiler chaque jour des centaines de personnes ! Certains magasins ont commencé à prendre de bonnes mesures : filtrage des clients, écrans de plexiglas ou cartons posés à terre devant les caisses pour maintenir une distance de sécurité. Mais j’espère que ce n’est pas trop tard. »
Très en colère, Eric Beynel, porte-parole de Solidaires, demande l’arrêt de tous les secteurs d’activité non indispensables : « La logique de prévention dans les entreprises n’est pas respectée et il manque une logique globale. Il faut se consacrer à l’essentiel : se confiner pour sortir collectivement de cette situation et non faire de la godille pour préserver des intérêts économiques au détriment de la santé des travailleurs. » Il cite l’exemple des entrepôts d’Amazon dans le Nord-Pas-de-Calais. Plus de 350 salariés auraient demandé à exercer leur droit de retrait, estimant que le risque de contagion leur fait courir un « danger grave et imminent ». « La médecine et l’Inspection du travail ont constaté qu’ils ne sont pas suffisamment protégés. Or la direction leur conteste ce droit de retrait, se référant à la déclaration de la ministre du Travail », s’emporte le syndicaliste. Le mardi 17 mars, Muriel Pénicaud a effectivement déclaré : « Dès lors que sont mises en œuvre, tant par l'employeur que par les salariés, les recommandations du gouvernement, la seule circonstance que je sois affecté(e) à l'accueil du public et pour des contacts brefs ne suffit pas, sous réserve de l'appréciation souveraine des tribunaux, à considérer que je justifie d'un motif raisonnable pour exercer mon droit de retrait. » Des propos qui ont provoqué une réaction du Syndicat des avocats de France (SAF), sous forme d’une lettre ouverte adressée jeudi à la ministre : « Cette affirmation est de nature à dissuader des salariés d'exercer leur droit de retrait, de peur de perdre du salaire ou d'être sanctionnés, est-il écrit. Ce d'autant que plus loin, vous expliquez aux employeurs comment réagir en cas de droit de retrait abusif, alors même que leur employeur n'aura pas mis en œuvre de manière suffisante les mesures de prévention préconisées. » Et le SAF de poursuivre : « Ce n'est pas conforme à la démarche générale de prévention et de solidarité préconisée par le gouvernement ni aux principes de prévention qu'impose le Code du travail. »
Sur Twitter, cette semaine, la détresse d’un livreur d’Amazon illustrait bien les injonctions contradictoires et absurdes que vivent les salariés : « Je n’ai pas le droit d’aller voir ma famille, mes amis. Par contre, je dois livrer 87 clients dans la journée, toucher 87 interphones, portes, interrupteurs… »

  • 1CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC et MEDEF, CPME, U2P