© Adobe Stock
© Adobe Stock

Covid-19 : « Un tableau de maladie professionnelle trop restrictif »

entretien avec Morane Keim-Bagot juriste spécialisée en droit de la Sécurité sociale et en santé au travail, professeure de droit à l’université de Bourgogne.
par Clotilde De Gastines / janvier 2021

Le dispositif de reconnaissance du Covid-19 comme atteinte professionnelle semble faire débat. Pourquoi ?
Morane Keim-Bagot : Le décret relatif à la reconnaissance du Covid-19 en maladie professionnelle a créé un tableau trop restrictif, adopté sans concertation. Il est attaquable sur le terrain du droit, notamment parce qu’il crée une inégalité, en renvoyant la reconnaissance du Covid-19 non pas au fait d’avoir contracté la maladie mais à la thérapeutique mise en place : l’oxygénothérapie ou toute autre forme d’assistance respiratoire. Plusieurs organisations ont saisi le Conseil d’Etat, donc l’évolution du texte va dépendre de cette décision.


La branche risques professionnels de l’Assurance maladie a décidé de rejeter toutes les déclarations en accident du travail, et de renvoyer les victimes vers une déclaration de maladie professionnelle. Est-ce normal ?
M. K.-B. :
Avec sa lettre-réseau du 13 août dernier, l’Assurance maladie-Risques professionnels semble se poser en législateur en contournant le Code de la Sécurité sociale, qui prévoit une appréciation individuelle de l’accident du travail, pour lui préférer un refus général systématique. Or, en droit, les règles applicables de manière générale et abstraites relèvent du législateur. La reconnaissance d’un accident du travail ou AT est un processus compliqué, particulièrement pour le Covid-19.
Toutefois, si un salarié souhaite déclarer son affection en AT, cela doit pouvoir être son choix. L’AT ne pourrait être reconnu que si, dans son dossier, il rapporte un faisceau d’indices démontrant la notion complexe de soudaineté qui détermine l’accident. Si, par exemple, il peut prouver que quelqu’un lui a toussé dessus sur le lieu de travail et s’est révélé positif par la suite, ou que ses symptômes se sont brusquement déclarés au travail. En échange, il bénéficiera d’une présomption d’imputabilité et n’aura pas à faire la démonstration de la causalité entre son dommage corporel et son travail. Mais en réponse à des dossiers complets, les déclarants ont reçu une simple lettre d’information les réorientant vers une procédure de déclaration de maladie professionnelle, et non une décision formelle de rejet, ce qui ne leur permet pas d’aller au contentieux. Cela pose une véritable difficulté d’accès au juge.
Enfin, cette lettre-réseau créé un dangereux précédent. Il existe de nombreuses maladies prises en charge au titre de l’accident du travail : VIH, sclérose en plaques, hernies. Est-ce que demain, l’Assurance maladie va fermer la porte à la prise en charge en AT d’une de ces maladies au moyen de lettres-réseau ?


Quelle serait la prise en charge la plus appropriée ?
M. K.-B. : J’étais partisane de la création d’un fonds d’indemnisation, qui permettrait de dédommager les victimes du Covid-19, notamment celles qui ont développé une maladie chronique ou qui ont conservé des séquelles ayant entraîné des préjudices soit économiques, soit extrapatrimoniaux. Cela permettrait de neutraliser les différences de droits applicables selon le statut d’emploi, comme le fait un tableau de maladie professionnelle.