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« La crainte d'une gestion plus individualisée de la santé au travail »

entretien avec Marc Malenfer, responsable de la mission Veille et prospective de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
par Corinne Renou-Nativel / janvier 2023

L’INRS a publié une étude de prospective sur l’intelligence artificielle et la prévention des risques professionnels. Pourquoi se projeter ainsi en 2035 ?
Marc Malenfer : Les investissements et les recherches en matière d’intelligence artificielle sont en forte augmentation depuis plusieurs années et le champ de la santé et sécurité au travail fait partie de ce marché en développement. Mais dans ce domaine, des questions se posent : quelle est la finalité réelle des données collectées ? Comment maîtriser le fonctionnement de systèmes, basés sur des algorithmes, qui s’apparentent parfois à des boîtes noires ? Les informations enregistrées via des capteurs portés par des personnes ne risquent-elles pas de mettre à l’arrière-plan la dimension organisationnelle de l’activité ? La généralisation de tels outils fait craindre une gestion de plus en plus individualisée de la santé et sécurité au travail au détriment d’approches de prévention collectives.

Qu’apporte, en l’occurrence, l’intelligence artificielle ?
M. M. : Le traitement intelligent de grandes bases de données permet d’espérer une amélioration dans la compréhension des facteurs de risques et la mise en évidence d’effets liés à des polyexpositions. Des systèmes de traitement automatique du langage, qui exploitent des données textuelles ou sonores, peuvent être utilisés pour analyser les contenus des déclarations d’accidents du travail et mieux interpréter l’accidentologie ; la caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France (Cramif) le teste déjà. L’intelligence artificielle révolutionne aussi l’informatique au service de la chimie afin d’affiner les études toxicologiques.

Quels sont ses usages éventuels en entreprise ?
M. M. : L’intelligence artificielle peut aider à sécuriser les lieux de travail, par exemple en évitant des collisions entre engins et piétons. Mais la collecte de données par le port d’équipements connectés (bracelet pour mesurer la température de la peau ou le rythme cardiaque, etc.) n’a d’intérêt que si le système ne se contente pas de donner l’alerte en cas de danger, et donne plus largement la possibilité de faire progresser la prévention. Avec la robotique avancée, les personnes qui travaillent dans des milieux confinés ou contaminés pourront être remplacées et mises à l’abri de risques importants. La robotique collaborative ouvre la voie à la coopération hommes-machines, avec un report des tâches pénibles sur les secondes. Il nous paraît important que les employeurs et les élus du personnel soient formés. Car il faut un dialogue social sur ces outils, la manière de les concevoir et de les implanter en bonne intelligence. Et en ménageant de possibles retours en arrière, afin que la machine s’adapte à l’humain et non le contraire.

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