Des modifications sont proposées sur les examens médicaux exigés par les tableaux de maladies professionnelles © AdobeStock
Des modifications sont proposées sur les examens médicaux exigés par les tableaux de maladies professionnelles © AdobeStock

Crispations autour des tableaux de maladies professionnelles

par Clotilde de Gastines / 12 mai 2021

Des modifications partielles prévues pour les tableaux de maladies professionnelles sur les troubles musculo-squelettiques et les affections liées aux vibrations ont ranimé le débat sur les conditions d’accès à la réparation et le rôle des experts.

Le 4 mai dernier, la commission spécialisée des pathologies professionnelles (CS4) du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct) s’est réunie pour discuter de potentielles modifications sur les tableaux n° 57 et n° 69. Le premier concerne les troubles musculosquelettiques (TMS), le second les affections provoquées par les vibrations sur le talon de la main. L’enjeu est de taille, car le tableau n° 57 représente à lui seul 87 % du total des maladies professionnelles reconnues.
« J’ai été sollicité pour trouver des pistes de résolution de contentieux liés à la lecture juridique très rigoureuse des tableaux, qui s’oppose parfois à la lecture médicale, explique Yves Roquelaure, professeur de médecine du travail à Angers et expert des TMS. Il n’y a pas de loup sur la refonte des tableaux, ni une approche masquée. » Sa proposition vise à « simplifier la vie des gens et des médecins ». Son intervention réactive toutefois de mauvais souvenirs chez certains acteurs concernés, car les précédentes modifications apportées en 2011 au tableau n° 57, pour lesquelles il jouait le rôle d’expert, ont fait chuter de 30 % les taux de reconnaissance.

Des examens complémentaires problématiques

« La CS4 mène des travaux sur la révision régulière des tableaux, justifie de son côté Paul Frimat, professeur émérite de médecine du travail et président de la CS4. Avant la pandémie, en 2019, nous avions déjà fait une étude sur les tableaux n° 57 et n° 69, et nous avions donné notre aval pour des modifications pour éviter les nombreux contentieux autour des examens médicaux complémentaires. La direction générale du Travail et de la direction de la Sécurité Sociale ont remis la question sur la table. »
De quoi s’agit-il, en résumé ? Lors de sa présentation, le Pr Roquelaure a plaidé pour une modification des examens médicaux exigés pour justifier le diagnostic des pathologies de ces deux tableaux. L’idée est de s’adapter aux progrès en imagerie médicale et à la réalité du terrain, en termes de prescription. Ainsi pour le volet A du tableau n° 57, qui concerne les TMS de l’épaule, la proposition est de mettre à égalité IRM, arthro-scanner et arthro-IRM pour les examens complémentaires. Aujourd’hui, le tableau exige une IRM, et autorise un arthroscanner seulement en cas de contre-indication. Pour ce qui est du tableau n° 69, il s'agit principalement de remplacer l’arteriographie, un examen invasif avec des risques de thrombose et d’hémorragie, par une écho-doppler artériel.

Un besoin de simplification

« La proposition est de garder les tableaux tels qu’ils sont, rassure le Pr Roquelaure. Et pour ceux dont les examens sont obsolètes ou dangereux, de faire un référentiel de bonne pratiques médicales accessible pour tous, médecins du travail ou pas et salariés. Le but n’est ni de restreindre l’accès aux tableaux – ce dont ont peur les syndicats ouvriers –, ni de l’élargir – ce que craignent les syndicats patronaux. C’est juste de rendre cela plus simple pour éviter les contentieux. » Un groupe pourrait travailler avec la Sécurité sociale pour rédiger ces référentiels, et les publier sur le site Ameli.fr.
« Je n’y crois pas une seconde ! s’exclame pour sa part le Dr Marie Pascual, qui a longtemps siégé à la CS4. Les référentiels n’empêcheront pas les contentieux. Les rhumatologues et les généralistes n’iront pas les voir avant de rédiger leurs certificats. » Pour cette praticienne, qui accompagne des salariés souffrant de TMS au sein de l’association Ramazzini, il est plus que nécessaire de « faire un bilan sur les difficultés de reconnaissance des tableaux n° 57 et 69 », voire de refondre totalement le n° 57, qui est selon elle « ni fait ni à faire », en associant des praticiens et les associations de victimes.

L’Anses mise hors-jeu

L’absence de recours à l’expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) dans la réflexion sur ces modifications potentielles ne manque d’ailleurs pas d’interroger. Celle-ci est dorénavant censée assumer le rôle de l’expert dans le cadre des travaux de la CS4. Si l’Agence est membre de droit de la CS4, elle n’a pas été associée à ces travaux. « Ce n’est pas une histoire d’Anses, car il n’est pas question d’une révision », évacue Paul Frimat, qui nie toute entorse aux nouvelles procédures. « Sur les TMS, la littérature scientifique n’a pas vraiment évolué », ajoute Yves Roquelaure.
« La CS4 a toujours fonctionné comme ça et elle a peur de voir arriver l’Anses sur le sujet, confie néanmoins un observateur, sous couvert d’anonymat. C’est pourtant ce que voulait casser la direction générale du Travail, en ne laissant plus l’expertise à un seul homme, sans débat scientifique et sans contradictoire. » L’intervention de l’Anses aurait permis de faire un bilan analytique précis des décisions de C2RMP concernant les examens concernés, de recenser la jurisprudence et de compiler des données scientifiques et techniques pour que les partenaires sociaux puissent ensuite débattre et prendre des décisions sur la base de leurs priorités. Ces derniers ont près de deux mois pour réagir aux propositions, avant la prochaine réunion de la CS4. Si toutefois le point est remis à l’ordre du jour.