© Candice Roger
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CSE, exigez la procédure d’information-consultation !

par Sabine Germain, Journaliste / 08 juillet 2025

Les entreprises qui déploient des agents intelligents s’affranchissent trop souvent de leur obligation d’informer et de consulter le CSE. Elles ont tendance à en minorer l’impact sur l’organisation du travail et les risques pour la santé et la sécurité des salariés. Troisième volet de notre dossier « IA, c'est quoi ce travail ? ».

On peut miser sur l’intelligence artificielle et avoir la mémoire courte. La preuve avec ce grand groupe de services liés à l’environnement qui a récemment présenté un plan d’automatisation de certaines tâches via l’intelligence artificielle, mais a fait l’impasse sur la consultation des élus du personnel.  « Nous avons dû rappeler au CSE qu’il devait être informé et consulté dès lors qu’un projet affecte les conditions de travail et introduit de nouvelles technologies », relate Elisa Oudinot, consultante en organisation spécialisée en santé au travail.

Cette entreprise a considéré que l’IA n’est qu’un outil, et qu'il ne va pas changer les conditions de travail. Ou uniquement pour les améliorer. « Si seulement c’était aussi simple ! », commente-t-elle en prenant l’exemple des techniciens de maintenance de cette entreprise : ils vont être libérés des formulaires papier qu’ils devaient renseigner en intervention puis venir déposer au bureau. « Ces formulaires, ainsi que les ordres d’intervention et les itinéraires, seront numérisés : les techniciens pourront donc faire davantage d’interventions. Aux risques liés à cette intensification du travail vont s’ajouter un risque routier accru ainsi qu’une perte de lien avec les équipes et une forme d’isolement. » 

Dissiper le rideau de fumée

La procédure d’information-consultation du CSE est prévue à l’article L. 2312-8 du Code du travail. L’enjeu n’est pas mince, et l’employeur qui ne respecte pas cette disposition s’expose à des sanctions.

Ainsi, le tribunal judiciaire de Nanterre, dans une ordonnance du 14 février 2025, est venu le rappeler à une entreprise qui n’a pas voulu consulter le CSE avant de déployer un outil d’IA : les juges ont ordonné la suspension du projet, estimant que « le déploiement en phase pilote ne peut s'analyser comme une simple expérimentation (…) mais au contraire comme une première mise en œuvre des outils informatiques soumis à consultation ».

Dans ce contexte, l’information-consultation des élus du personnel est précisément destinée à identifier et prévenir les risques professionnels induits par l’introduction de l’IA, car celle-ci va forcément modifier l’activité et les conditions de travail.

Pourtant, cette procédure est encore trop rarement engagée : « Le dialogue social technologique manque de maturité, constate Vincent Mazuy, consultant spécialiste des restructurations chez Secafi. De fait, celui-ci ne peut être efficient que si les représentants du personnel maîtrisent le sujet : « Le rapport gouvernemental sur l’IA martèle l’urgence de la formation, observe Fabrice Rauzier, expert chez Syndex. Cela vaut aussi pour les représentants du personnel : ils doivent monter en compétence pour identifier où se niche l’IA et quel impact elle aura sur l’organisation du travail. Dans 90 % des cas, il ne s’agit que de petits outils d’automatisation. Mais dans les 10 % restants, peuvent se cacher des outils très structurants. »

C’est précisément pour dissiper ce rideau de fumée que les représentants du personnel doivent se former. Mais aussi user de leur droit à recourir à une expertise, ce que permet l'information-consultation, à la différence de la simple information. L’élaboration de l’expertise, les échanges avec l’expert, et les contacts de ce dernier avec l’employeur favorisent l'acculturation de toutes les parties prenantes.

« Les réponses d’aujourd’hui ne sont pas celles de demain »

Pour l’heure, « les élus ne sont pas très à l’aise sur ce sujet, considérant encore trop souvent que des outils tels que Copilot relèvent de la bureautique », regrette Vincent Mazuy. Or cet assistant intelligent permet de générer du texte, du code ou des images : il transforme donc profondément certaines activités. C’est toute la difficulté avec l’IA : « Les effets d’un outil sur l’organisation et les conditions de travail dépendent très largement de la façon dont les salariés vont s’en emparer. », poursuit Vincent Mazuy.

« L’intelligence artificielle est une technologie apprenante, ajoute Clémentine Bienenfeld, elle aussi consultante chez Secafi. Il est difficile d’anticiper ses effets sur l’organisation lors de son déploiement, et plus encore à l’horizon d’un ou dix ans. » 

D’où la réflexion de ces deux experts sur les limites de l’exercice d’information-consultation face à ce type de projet : « Le CSE doit émettre un avis à l’issue d’un jeu de questions/réponses, explique Vincent Mazuy. Mais avec l’IA, les réponses d’aujourd’hui ne sont pas celles de demain. Pour engager des expérimentations contrôlées dans la durée, ne vaudrait-il pas mieux conclure un accord de méthode ou créer une commission spécialisée au sein du CSE chargée de suivre des expérimentations ? » 

« Ce n’est pas l’outil qui compte »

Elisa Oudinot estime pour sa part que « la procédure d’information-consultation est un outil très puissant. A condition, toutefois, que ses conclusions ne soient pas perçues comme un chèque en blanc pour la suite : une nouvelle procédure doit pouvoir être engagée à chaque étape de déploiement de l’outil, avec un calendrier des expérimentations et des retours d’expériences. »

Ingénieure informatique de formation, l’experte met en garde les acteurs du dialogue social : « Ils ont trop souvent tendance à se focaliser sur l’outil. Or, ce n’est pas l’outil qui compte, mais la façon dont il est utilisé. » Prenons le cas d’une équipe de nettoyage équipée de robots-aspirateurs : ces machines sont censées faciliter la tâche des agents, mais ne peuvent pas passer partout. Le personnel doit donc vérifier le travail des robots et finit par nettoyer lui-même tous les recoins difficiles d’accès.

C’est là le principal risque de l’IA : les salariés ne réalisent plus certaines tâches, mais « doivent vérifier et corriger les erreurs d’une machine sur laquelle ils n’ont pas la main », précise Elisa Oudinot. « L’IA apprend par l’exemple, sans que l’on sache ce qu’elle a appris et comment elle l’a compris », ajoute Clémentine Bienenfeld. « A la perte de sens s’ajoute une surcharge mentale, renchérit Elisa Oudinot. Une équipe de conseillers clientèle, dont tous les dossiers simples sont traités par l’IA, ne gère plus que des dossiers complexes et conflictuels. »

Pour identifier l’ensemble des risques, le CSE doit donc disposer de toutes les informations nécessaires sur l’outil et la façon dont il sera mis en œuvre. « A défaut, conseille l’experte, les élus peuvent voter une résolution avec copie à l’inspection du travail. »

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