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« La demande d’activité pendant un cancer du sein concerne aussi les ouvrières et employées »

entretien avec Pascale Levet, professeure associée en sciences de gestion à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Lyon (université Jean-Moulin) et déléguée générale de l’association Le Nouvel Institut
par Corinne Renou-Nativel / janvier 2022

Depuis 2019, vous menez une recherche-action avec plusieurs partenaires1 , centrée sur les femmes atteintes de cancers du sein. Pourquoi est-il important de permettre à celles qui le souhaitent de ne pas interrompre leur vie professionnelle ?
Pascale Levet :
La singularité de cette pathologie, qui entraîne des arrêts maladie de neuf à douze mois et dont les traitements sont parmi les plus lourds, est que les femmes concernées, pour moitié, font partie de la population active. Les études épidémiologiques montrent une corrélation positive entre le fait de travailler et l’espérance de vie en santé cinq ans après un cancer. En 2019, forte de ces résultats, la Haute Autorité de santé a publié une recommandation pour la pratique clinique en matière de maintien en emploi, y compris pendant les traitements. Des enquêtes ont montré que de nombreuses femmes souhaitent poursuivre leur activité professionnelle pendant qu’elles sont soignées, pour avoir « une vie normale », apaiser leurs angoisses et celles de leurs proches. Les raisons financières, évoquées essentiellement par les professions libérales et les indépendantes, arrivent en dernier dans leurs motivations. Mieux admise socialement chez les cadres, la demande d’activité pendant un cancer concerne pourtant aussi les ouvrières et les employées. Il n’est pas question de stigmatiser les femmes qui ont des arrêts longs mais d’apporter des solutions à celles qui veulent se rétablir dans un travail constructeur de santé.

Pourquoi l’articulation entre travail et cancer est-elle compliquée dans les entreprises ?
P. L. : Pour toutes les femmes, quelle que soit la catégorie professionnelle, la capacité productive est variable et incertaine d’un jour à l’autre. Il faut donc que les organisations puissent mettre en place un cadre d’emploi et de travail souple et réversible, par exemple du temps choisi plutôt que du temps partiel thérapeutique. Les modalités de télétravail peuvent également être aménagées de façon plus agile.

Qu’explorez-vous dans cette recherche-action ?
P. L. : L’objectif vise notamment à équiper les entreprises d’un référentiel pour une gestion flexible et raisonnable du maintien au travail, en proposant un cadre avec des principes connus et partagés et qui garantisse l’équité dans la prise en charge des situations. D’autre part, il s’agit de soutenir la mobilisation des savoirs d’expérience du travail, avec ou après la maladie, grâce à un outil réflexif, qui permet une interrogation de l’activité, du point de vue du rythme, des horaires, des ressources à disposition, etc. Cet outil, expérimenté dans des entreprises, s’appuie sur l’idée que l’aptitude se construit au contact de l’activité : disposer d’une vraie capacité d’initiative dans son travail est indispensable à la construction de la santé.

  • 1L’Institut national du cancer (Inca), l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph) et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP)