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Difficile d’imposer le télétravail à temps plein

par Catherine Abou El Khair / 20 novembre 2020

Contrairement aux déclarations du gouvernement, aucun texte n’oblige au télétravail à 100 %, même dans le contexte de la pandémie. Certains syndicats de l’Inspection du travail dénoncent la faiblesse de la législation, les empêchant de faire rapidement pression sur les entreprises.

 

Avec le second confinement, l’injonction au télétravail généralisé a fait son retour pour freiner l’épidémie. Selon Elisabeth Borne, ministre du Travail, il n’est « pas une option » mais bien « obligatoire » à 100 % pour les postes où c’est possible. Résultat ? « Depuis quinze jours, nos collègues sont saisis à tort et à travers par des salariés qui leur disent que leur employeur ne veut pas les placer en télétravail », témoigne Simon Picou, responsable du syndicat CGT des inspecteurs du travail. Sauf que, face à ces demandes pressantes, ces derniers « ne peuvent pas faire de miracles. Cela prend du temps et on n’a pas les outils juridiques pour atteindre le résultat affiché par le gouvernement », précise-t-il.

Au pouvoir de l’employeur

Et pour cause : le dernier protocole sanitaire, qui établit que le télétravail « est porté à 100 % pour les salariés qui peuvent réaliser l’ensemble de leurs tâches à distance », ne constitue qu’une recommandation, comme l’a tranché le Conseil d’Etat, le 19 octobre dernier. Aucune disposition légale ou réglementaire n’impose donc clairement cette mesure. « Le télétravail est un mode d’organisation qui relève du pouvoir de l’employeur, explique Franck Héas, professeur de droit privé à l’université de Nantes. C’est lui qui, juridiquement, est à l’initiative de ce choix et de ses modalités, dans le cadre d’un accord collectif ou d’une simple charte. Comme le législateur ne fixe pas de cadre contraignant et précis, l’injonction des pouvoirs publics au télétravail atteint vite ses limites. » Voilà qui explique pourquoi certaines entreprises comme Total, Engie ou encore BNP Paribas se sont engouffrées dans la brèche, avant de se faire rappeler à l’ordre en personne par la ministre du Travail.

Pression orale

Les directions régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (Direccte) ont certes multiplié les appels auprès des entreprises de plus de 1 000 salariés pour s’assurer qu’elles respectent les consignes.
Mais au-delà de ce coup de pression oral, une procédure de mise en demeure dans laquelle l’Inspection du travail recommanderait le télétravail « peut prendre plusieurs semaines », selon Simon Picou, et dépend d’une décision finale des Direccte. « L’agent de contrôle doit disposer de constats réalisés in situ permettant de caractériser une situation dangereuse, eu égard à l’état des connaissances scientifiques et à l’organisation du travail constatée », souligne à ce sujet une note de la direction générale du Travail (DGT), qui en énumère les conditions : activité en open space, présence d’un cluster, postes à moins d’un ou deux mètres, espaces de travail exigu, absence de ventilation… Le non-respect d’une telle mise en demeure, constitue alors une infraction passible de 3 750 euros d’amende, multipliée par le nombre de salariés concernés.

Obligation de sécurité engagée

Les instances de représentation du personnel, tout comme les salariés, peuvent également lancer une action en justice en invoquant une absence d'application des principes généraux de prévention, soutient le professeur de droit Franck Héas : « On peut imaginer que le juge, qui intervient a posteriori, impose de mettre en place le télétravail dans une logique préventive. » Toutefois, ce résultat n’est pas garanti. Pour la DGT, la méconnaissance de l’évaluation des risques et des principes généraux de prévention « ne peut fonder un procès-verbal de la part d’un agent de contrôle ni une action en référé devant le tribunal judiciaire », écrit-elle dans sa note. Au final, « on peut alerter les entreprises sur le fait que leur responsabilité sur l’obligation de sécurité pourrait être engagée en cas de réalisation du risque », indique Simon Picou. Encore un sujet complexe qui ne peut se régler qu’a posteriori devant la justice.