Directive cancers : le Parlement à la manoeuvre

entretien avec Claude Rolin, eurodéputé, vice-président de la commission Emploi et Affaires sociales
par Clotilde de Gastines / avril 2019

Quel a été le rôle du Parlement dans le processus de révision de la directive sur la prévention des cancers professionnels, révision à laquelle vous avez participé en tant que rapporteur ?

Claude Rolin : Le Parlement a été beaucoup plus ambitieux que les propositions initiales de la Commission européenne. Au sein de la commission emploi et affaires sociales, j'ai travaillé en trio avec Marita Ulvskog, socialiste, et Laura Agea, eurosceptique. Nos rapports étaient d'un tel niveau de technicité que, pour venir nous contrer, il fallait travailler autant que nous.

La première phase a été validée en octobre 2017, après d'âpres discussions avec le Conseil. Elle a permis de créer des valeurs limites d'exposition pour onze substances, dont la silice cristalline alvéolaire, qui s'ajoutent à celles figurant dans la directive initiale de 2004. Elle a également révisé les valeurs limites qui existaient pour les poussières de bois durs et le chlorure de vinyle monomère.

Alors que la Commission avait décidé de ne pas prendre en compte l'exposition aux émissions de moteur diesel, vous l'avez incluse dans votre proposition. Pourquoi ?

C. R. : J'ai décidé de l'inclure dans le champ d'application de la directive, assortie d'une valeur limite d'exposition professionnelle, parce que ces émissions concernent douze millions de travailleurs en Europe. Un collègue Vert m'a dit que j'étais "fou", que ça ne passerait jamais, "même venant d'un membre du PPE". Il y a eu beaucoup de blocages au début, mais pas vraiment de lobbying sur moi. Sans doute en partie parce que, depuis le début de mon mandat, je me suis fixé des règles claires vis-à-vis des lobbyistes, en consultant principalement les partenaires sociaux et les ONG.

Le débat sur mon projet de rapport s'est tenu au moment où le scandale du Dieselgate et des logiciels trafiqués de l'industrie automobile faisait la une des journaux. Cela a provoqué une certaine confusion. J'ai aussi profité de l'émotion suscitée par cette affaire dans l'opinion publique pour désamorcer les objections au sein de mon propre groupe. Ensuite, j'ai mis sur la table la législation allemande qui venait de restreindre les expositions aux fumées de moteur diesel sur le lieu du travail, ce qui m'a permis d'obtenir le soutien de la Commission, puis de la présidence autrichienne du Conseil.

Quels sont les autres engagements que devra tenir la Commission ?

C. R. : A la demande du Parlement, la Commission devra procéder en 2019 à une analyse d'impact relative aux substances reprotoxiques, qu'elle n'a pas voulu inclure dans la directive cancers jusqu'à présent. Lors de la prochaine évaluation de cette directive, elle devra apprécier la nécessité de modifier la valeur limite pour la poussière de silice cristalline alvéolaire. Enfin, le 28 janvier dernier, le Parlement a obtenu du Conseil que la Commission étudie la possibilité d'inclure les médicaments cytotoxiques dans la directive ou de proposer un nouveau texte législatif. Ces substances utilisées en chimiothérapie sont dangereuses pour le personnel soignant. Sans protection adéquate, leur manipulation peut mener à des cancers de la vessie ou à des leucémies, ou encore provoquer des fausses couches.

Le Parlement a également demandé une révision permanente de la directive, pour pouvoir ajouter de nouvelles substances et tenir compte des mélanges de substances et des effets cocktail. L'actuelle commissaire européenne à l'Emploi, Marianne Thyssen, est d'accord sur le principe, mais ce sera à la personne qui lui succédera au sein de la future Commission européenne de l'entériner. D'où aussi l'importance des prochaines élections du Parlement.