Les seniors manqueraient de dynamisme dans l'entreprise. © Adobe Stock
Les seniors manqueraient de dynamisme dans l'entreprise. © Adobe Stock

« Ces discours qui justifient des politiques dégradant les droits »

entretien avec Marie-Anne Dujarier, professeure de sociologie à l’université Paris-Cité.
par Rozenn Le Saint / avril 2023

Le coût du travail serait trop élevé, les salariés peu enclins à travailler… Ces idées reçues sont battues en brèche par trente-sept experts dans un ouvrage que vous avez dirigé. Pourquoi perdurent-elles ?
Marie-Anne Dujarier : Ces idées ont la vie dure car elles sont surtout entretenues par les employeurs : entreprises et Etat. Elles ont des incidences sur l’acceptation sociale des évolutions du droit de l’emploi et de la Sécurité sociale comme des conditions concrètes de l’activité. Par exemple, les affirmations selon lesquelles les salariés seraient paresseux ou que les jeunes ne voudraient pas travailler, à tel point que le nombre de postes non pourvus est très élevé, ne trouvent pas de vérification empirique.
Or, ces discours justifient des politiques publiques qui dégradent les droits et protections des salariés – le chômage notamment. Ils ont pour effet de mettre une pression culpabilisante sur les chômeurs, qui acceptent alors des conditions d’emploi dégradées. La valorisation de l’autoentreprenariat, consistant à faire croire qu’il est formidable « d’être son propre patron », ringardise l’attachement aux droits sociaux conquis. Rabâcher que « le Code du travail est trop gros » induit l’idée qu’il faudrait réduire les droits des salariés.

Quelles analyses font particulièrement écho dans le contexte actuel de réforme des retraites ?
M.-A. D. : Les contributions des économistes Nicolas Da Silva sur la Sécurité sociale ou Michaël Zemmour sur le coût du travail expliquent le fonctionnement du système des retraites. Les ergonomes Corinne Gaudart et Serge Volkoff discutent l’idée selon laquelle les seniors seraient des « poids » dans l’entreprise, car ils « manqueraient de dynamisme ». Les articles montrent aussi que la pénibilité physique au travail n’a pas disparu avec l’automatisation, et qu’elle est doublée d’une pénibilité psychique. Ce livre rappelle aussi, avec Maud Simonet et le collectif Rosa Bonheur, que la production utile déborde le cadre de l’emploi. Les retraités ne font pas rien : elles et ils s’occupent des petits-enfants et parfois de leurs parents, agissent dans des associations…

Vous abordez le travail domestique et l’accroissement de la charge de travail des femmes occasionné par les confinements…
M.-A. D. : Oui, les femmes ont dû assurer davantage de travail ménager et éducatif, alors qu’elles ont été moins souvent en chômage partiel que les hommes car elles sont davantage employées dans les métiers liés au care, moins télétravaillables. 70 % des métiers ne le sont pas, à l’instar de professions telles que caissière, coiffeuse, aide-soignante, ouvrier du nucléaire, de la chimie ou des chaînes logistiques, éboueur, agriculteur, agent d’entretien. Il ne faut pas l’oublier.

A LIRE
  • Idées reçues sur le travail. Emploi, activité, organisation, coordonné par Marie-Anne Dujarier, Le Cavalier bleu, mars 2023.