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Un dispositif pénibilité hors d’atteinte

par Joëlle Maraschin / 08 juillet 2022

Plus de 80 % des 2,9 millions de salariés potentiellement éligibles au compte pénibilité n’ont pas eu accès à ce dispositif de compensation de l’usure professionnelle. Un bilan peu glorieux, publié tardivement par le ministère du Travail.

Il aura fallu attendre juin 2022, et la fin de la campagne électorale, pour que soit publiée l’étude de la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) sur le compte pénibilité. Cette publication tardive sur un dispositif promu par le gouvernement ne peut qu’interroger. L’étude en question, signée par Thomas Coutrot et Nicolas Sandret, compare le nombre de salariés bénéficiant d’un compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) avec celui des salariés potentiellement éligibles, à partir des données de l’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels). Avec un constat : l’accès au compte pénibilité semble loin d’être un droit effectif.
D’après l’enquête Sumer, 2,9 millions de salariés étaient concernés en 2017 par l’une des pénibilités ouvrant potentiellement droit au C3P. Mais 83 % d’entre eux, soit 2,4 millions des salariés éligibles, n’en étaient pas bénéficiaires au moment de l’enquête, en 2017. « Les critères retenus dans Sumer ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux du compte pénibilité », souligne toutefois Nicolas Sandret, ancien médecin-inspecteur du travail et expert pour l’enquête Sumer.

Accès plus retreint pour les femmes

S’il n’est pas possible d’établir précisément le taux de non-recours à ce dispositif, plusieurs éléments illustrent néanmoins l’importance de la sous-déclaration des expositions aux risques professionnels. « On observe plus de bénéficiaires du C3P dans les grandes entreprises dotées de CHSCT [comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, NDLR] et de syndicats », précise Nicolas Sandret. La proportion de bénéficiaires parmi les salariés exposés à l’une des pénibilités retenues par le dispositif varie de 8 % seulement dans les entreprises de moins de 50 salariés à 33 % dans celles de plus de 250 salariés disposant de représentants du personnel.
Les auteurs de l’étude pointent d’autres facteurs « défavorables » concernant l’accès au compte pénibilité : le fait d’être en CDD ou en intérim, d’avoir moins de 30 ans ou encore d’être une femme. Parmi les salariés exposés à au moins une pénibilité éligible, les hommes disposent plus souvent d’un compte que les femmes (respectivement 19 % et 12 %).
En 2017, 1,3 million de salariés au total avaient pu bénéficier de l’ouverture d’un C3P depuis la mise en place du dispositif en 2015. La moitié des salariés travaillant de nuit ou en équipes alternantes y ont eu accès. C’est nettement plus que pour ceux exposés à d’autres facteurs de risque. Les auteurs de l’étude rappellent que le travail de nuit ou posté est plus facile à objectiver que d’autres pénibilités, pour lesquelles les seuils réglementaires fixés paraissent très complexes à mesurer.

Des risques très peu déclarés

Ainsi, pour de nombreux facteurs de risque, le ratio de comptes ouverts sur le nombre de salariés exposés s’effondre : 18 % seulement de ceux confrontés à des agents chimiques dangereux ont un C3P, une proportion qui tombe à 14 % pour la manutention de charges, à 11 % pour le bruit ou encore 10 % pour les postures pénibles. D’ailleurs, fin 2017, le gouvernement a préféré transformer le C3P en C2P (compte personnel de prévention) en supprimant quatre des dix facteurs de pénibilité – manutention de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, produits chimiques – au motif de la difficulté à les mesurer.
Depuis la création de ce dispositif de compensation de l’usure au travail, un peu plus de 6 000 salariés ont pu demander de partir plus tôt en retraite. Un chiffre très en deçà de l’annonce de 10 000 personnes bénéficiaires d’une retraite anticipée chaque année au titre de ce dispositif. A l’évidence, le compte pénibilité tel qu’il a été conçu, notamment via une mesure individuelle des expositions, ne fonctionne pas. La Première ministre, Elisabeth Borne, qui s’est engagée dans son discours de politique générale au parlement, le 7 juillet, à tenir compte de la pénibilité à l’occasion de la prochaine réforme des retraites, a donc du pain sur la planche.

Les conditions de travail plombent le recrutement
Joëlle Maraschin

D’après une étude de la direction de l’Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares), publiée en juin, les employeurs du secteur privé signalant des conditions de travail difficiles pour leurs salariés sont beaucoup plus nombreux à connaître des difficultés de recrutement et de « fidélisation » de leurs employés. Les horaires atypiques ou imprévisibles ainsi que la difficulté à pouvoir effectuer un travail de qualité font partie des expositions professionnelles les plus associées aux difficultés de recrutement. Les secteurs les plus concernés sont les industries agricoles et alimentaires, les hôtels-cafés-restaurants, les transports ainsi que la santé et l’action sociale.
Dans une autre étude parue en octobre 2021, la Dares signalait que les tensions de recrutement sur certains métiers s’expliquaient par des conditions de travail peu attractives, notamment pour les aides à domicile, les conducteurs routiers, les ouvriers non qualifiés de l’industrie, certains ouvriers qualifiés de l’industrie et du bâtiment ou les serveurs. Pour d’autres métiers, de mauvaises conditions de travail conjuguées à une pénurie de main d’œuvre contribuent aux tensions. C’est le cas pour les métiers de bouche (cuisiniers, bouchers, boulangers) ou encore les aides-soignantes. L’amélioration des conditions de travail, une marge de manœuvre dont dispose les employeurs, représente donc un levier important pour résoudre les difficultés de recrutement.