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« Un dispositif de réparation inopérant »

entretien avec Catherine Pinchaut secrétaire nationale de la CFDT, en charge de la santé au travail
par François Desriaux / 09 juillet 2020

La CFDT estime que le mécanisme d’indemnisation des victimes professionnelles du Covid-19 proposé par le gouvernement est bien en deçà des promesses du ministre de la Santé. Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la confédération, demande la création d’un fonds dédié.

Vous venez d’examiner les projets de décret et d’arrêté permettant la prise en charge du Covid-19 au titre des maladies professionnelles pour les soignants et les salariés en première ligne face à l’épidémie. Pourquoi la CFDT est-elle très réservée sur ces textes ?

Catherine Pinchaut : Il y a un véritable décalage entre les annonces faites dès le 23 mars par le ministre de la Santé, confirmées par un communiqué de presse du gouvernement le 30 juin dernier parlant de « reconnaissance automatique pour les soignants et de reconnaissance facilitée pour les travailleurs » ayant continué leur activité pendant le confinement, et les projets de textes réglementaires. Concernant les premiers, seules les affections respiratoires sont prises en compte au titre de la reconnaissance en maladie professionnelle, et encore dans leurs formes les plus graves. Toutes les autres séquelles – cardiaques, neurologiques, rénales… – sont exclues. Par ailleurs, au-delà des seuls soignants, ce sont également tous les personnels de l’hospitalier, du médical et du médico-social qui doivent être pris en considération, quel que soit leur statut.
Les décrets qui sont actuellement présentés dans les différentes instances – au Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct), à la Commission des accidents du travail-maladies professionnelles (CAT-MP) de l’assurance maladie, à la MSA [Mutualité sociale agricole, NDLR] ou encore du côté de la fonction publique hospitalière – ne correspondent pas, dans leur opérationnalité, à ce qui a été annoncé. Je rappelle qu’il y a une véritable attente de justice sociale pour tous les travailleurs qui ont œuvré pendant la crise, et souvent au début, sans les mesures de protection adéquates.

Pourquoi estimez-vous qu’il sera impossible pour les salariés qui ne travaillaient pas dans le milieu du soin de faire reconnaître leur Covid-19 en maladie professionnelle ? Le gouvernement propose bien la création d’un nouveau tableau.

C. P. : Pour ces salariés, la procédure proposée renvoie au système complémentaire de réparation des maladies professionnelles. Juridiquement, cela signifie que la charge de la preuve incombe au salarié ou à l’agent. Il s’agit d’un processus long et complexe en temps normal, car la victime ou ses ayant droit doivent démontrer l’existence d’un lien « direct » et « essentiel » entre la pathologie et le travail habituel. Dans le cas du Covid-19, ce lien direct et essentiel sera presque impossible à établir, ce qui rend le dispositif inopérant. Beaucoup de salariés risquent donc de renoncer.
Par ailleurs, sans entrer dans des considérations médico-légales trop techniques, alors que le communiqué du gouvernement indiquait qu’aucun taux d’incapacité permanente (IPP) ne serait exigé pour accéder à la procédure, le texte actuel du décret renvoie à la nécessité d’avoir un taux d’IPP de 25 %. Peu de salariés pourront faire valoir un tel taux. Globalement, le système proposé n’assure aucune égalité de traitement entre les travailleurs qui ont continué à œuvrer pendant la crise face à ce virus, alors qu’ils sont potentiellement victimes des mêmes séquelles.

Pourquoi demandez-vous la création d’un fonds d’indemnisation dédié ?

C. P. : Nous refusons une approche en silo, qui distingue les travailleurs selon leur appartenance à des corps de métiers ou à un secteur d’activité. Nous demandons que soient pris en compte les risques d’exposition professionnelle au Covid-19 et leurs conséquences sur la santé de manière homogène pour tous, quel que soit le statut des demandeurs. Et bien sûr, la CFDT plaide en faveur d’une procédure d’imputabilité d’office. Seule la création d’un fonds peut réunir toutes ces conditions. J’ajoute une donnée importante pour les victimes : seul un fonds dédié peut offrir une réparation intégrale des préjudices, ce qui n’est pas le cas dans le dispositif du gouvernement.
La gouvernance de ce fonds, qui impliquerait étroitement les partenaires sociaux, serait garante d’une équité de traitement. Il faut rappeler que les atteintes professionnelles à la santé des travailleurs lors de la crise sanitaire ne sont pas le fait d’un défaut de prévention et de protection imputable aux seuls employeurs. Les consignes gouvernementales discordantes et la pénurie durable d’équipements de protection individuelle et collective induisent une responsabilité plus large. Ce fonds devrait par conséquent être financé à la fois par la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la Sécurité sociale mais également par des deniers publics.
Un tel système protègerait à la fois les travailleurs en garantissant la compensation de la perte de revenus, les employeurs privés et publics face à des coûts parfois très élevés inhérents à l’indemnisation et enfin la santé publique grâce au fléchage des coûts de prise en charge des pathologies Covid-19 liées au travail.