« Une double peine pour les enfants d'agriculteurs »
Une étude de l’Inserm établit un lien entre la densité de parcelles viticoles autour du domicile d’un enfant et le risque de développer une leucémie lymphoblastique. Claire Bourasseau, salariée de l'association Phyto-Victimes qui soutient les professionnels intoxiqués par les produits phytosanitaires, réagit à sa publication.
L’association Phyto-Victimes a-t-elle été associée au lancement de cette étude1
, la première à quantifier au niveau national les risques de l’exposition environnementale aux pesticides, dont les vignes sont de grandes consommatrices ?
Claire Bourasseau : Non, car elle concerne des riverains, ce qui ne relève pas de notre mission principale. Cette étude avait été lancée en 2016, à la suite de l’alerte lancée par des parents d’enfants malades en Gironde.
Quels enseignements en retirez-vous pour Phyto-Victimes ?
C. B. : Nous ne sommes pas étonnés. On sait, hélas, que les pesticides ne s’arrêtent pas au champ et qu’ils ont un impact sur les riverains. En 2018, une étude avait déjà montré que, dans les régions les plus viticoles de France, le risque de contracter la maladie de Parkinson, reconnue comme maladie professionnelle pour les agriculteurs, était plus élevé chez les riverains des exploitations et dans les familles des exploitants.
Les leucémies d'enfants ayant été exposés in utero, via l’exposition professionnelle de leurs parents, sont aujourd’hui reconnues comme en lien avec l’utilisation de pesticides et indemnisées à ce titre par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Les autres pathologies reconnues pour les enfants de professionnels exposés dans les mêmes conditions sont les tumeurs cérébrales, l’hypospadias, la fente labio-palatine et les troubles du neurodéveloppement.
Les risques pour la santé des enfants d'agricultures sont-ils encore plus importants avec ces expositions environnementales ?
C. B. : Pour les enfants d'agriculteurs, c'est la double peine : ils cumulent les risques d’une exposition professionnelle via l’activité de leurs parents et d’une exposition environnementale. D’ailleurs, quand Phyto-Victimes reconstitue le parcours d’une personne pour caractériser son exposition aux pesticides, nous débutons par l’enfance : est-ce que la victime vient d’une famille d’agriculteurs ? A-t-elle aidé à la ferme, participé aux travaux de traitement des semences, etc. ? A une époque où on ignorait encore la dangerosité des pesticides, les agriculteurs demandaient souvent à leurs enfants de les aider en faisant les « jalons humains », c’est-à-dire en restant dans le champ pour indiquer la limite d’épandage.
Comment analysez-vous les résultats de l'étude ?
C. B. : Cela montre qu’il est indispensable de développer les études sur l’exposition environnementale aux pesticides. Regardez l’exemple du cluster de cancers pédiatriques de la plaine d'Aunis, une zone agricole proche de La Rochelle, où l’on a découvert en 2021 un taux record dans l’air d’un herbicide, le prosulfocarbe. Ou de celui d’enfants nés sans main dans l’Ain, pour lequel on suppose une cause environnementale. Plus on avance dans le temps, plus il devient difficile de nier le risque entre une exposition environnementale aux pesticides et des pathologies chroniques. Tôt ou tard, ces riverains demanderont réparation et ce sera bien normal. Mais comment va-t-on pouvoir caractériser et différencier leurs expositions, multiples, à différents polluants émanant de diverses sources (industrie, agriculture, transports, alimentation…), et donc ouvrir des droits à une indemnisation ? Nous savons à quel point c’est déjà compliqué pour une exposition professionnelle !
Est-ce que cette étude risque d’accroître un sentiment de culpabilité chez les viticulteurs ?
C. B. : Ce sentiment, les professionnels l’éprouvent déjà souvent, vis-à-vis d’eux-mêmes, mais aussi de leur famille. Il arrive dans certains cas que le mari ait été plus en contact avec les pesticides que son épouse, mais c'est elle qui tombe malade. Cela montre que l’exposition ne se limite pas à l'application de pesticides. Nous essayons de les aider à combattre ce sentiment car il n’y a évidemment aucune volonté de nuire, ni à la famille ni aux riverains.
- 1Epidemiology of childhood and adolescent cancers, CRESS, INSERM, UMR1153, Université Paris-Cité, Paris, France, in Environmental health perspectives, octobre 2023.