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Vers un droit du travail offshore pour l’éolien en mer ?

par Nolwenn Weiler / 15 décembre 2022

Censé répondre à la crise énergétique, le développement de parcs éoliens offshore pourrait se solder par l’application d’un régime horaire dérogatoire pour les salariés de la maintenance. Avec des rythmes de travail éprouvants et des risques accrus pour ces derniers.

Des journées de 14 heures et des semaines de 72 heures ? Ce sont les rythmes de travail, aujourd’hui, des salariés qui embarquent en mer, alternant quinzaines travaillées et de repos. Prévus par le Code des transports pour s’adapter aux longues périodes loin des côtes, ces horaires concernent également aujourd’hui des salariés qui gravitent autour des projets d’éoliennes offshore, même s’ils ont la possibilité de rentrer tous les soirs à terre. Pour le moment appliqués de manière dérogatoire, ils pourraient devenir la règle dans le secteur des énergies marines renouvelables (EMR), sous couvert de répondre à la crise en cours. C’est en tout cas ce que prévoit le projet de loi sur « l’accélération de la production d’énergies renouvelables ».
Présenté au Sénat le 26 septembre dernier (en procédure accélérée) et adopté fin novembre en première lecture à l’Assemblée nationale, ce texte prévoit d’étendre le rythme de travail des gens de mer à l’ensemble des salariés œuvrant dans le secteur des éoliennes offshore. Selon l’étude d’impact, cette disposition « répond à un besoin identifié par les opérateurs de parcs éoliens en mer qui pourront désormais appliquer le même régime de durée de travail aux personnels alternant des périodes de travail en mer et à terre ». Mais cette adaptation aux contraintes organisationnelles des chantiers s’accorde-t-elle avec la sécurité des salariés ? Est-il raisonnable d’imaginer des journées à rallonge pour l’ensemble des équipes de maintenance appelées à entretenir ces parcs – au nombre de 50 en 2050 si l’on en croit les vœux formulés par Emmanuel Macron en février 2022, lors d’une visite du site General Electric à Belfort ?

Une activité à risque

Plusieurs chercheurs et acteurs de prévention se posent sérieusement la question. « Le risque d’accident est accru en fin de poste, avec la fatigue qui s’accumule, rappelle Béatrice Barthe, chercheuse en ergonomie, spécialiste des horaires de travail atypiques. La vigilance diminue au fil de la journée. » Sur les éoliennes offshore, qui culminent à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du niveau de la mer, « le travail reste physique avec, pour certaines interventions, des vérifications mécaniques sur la boulonnerie, des opérations de graissage, de transferts de fluides… le tout pouvant être réalisé dans des espaces réduits », explique Jean-Claude Poulain, ingénieur conseil à la caisse d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat) Normandie et pilote d’un programme régional sur les EMR. « La phase d’accostage comporte des risques importants, précise-t-il également. Pendant le transfert d’un technicien sur l’échelle d’accès, le bateau peut s’écarter de la zone d’accostage avec le risque de chute à la mer ou/et d’écrasement. »
Au moment où ils rallient les éoliennes, « les intervenants sont en combinaison complète, avec un gilet de sauvetage, le matériel de protection contre les chutes, et tout le matériel nécessaire à leur activité de maintenance. Au niveau de la dextérité, ce n’est pas idéal », complète Benoit Louazel, contrôleur de sécurité à la Carsat Normandie. Autres risques propres à ce milieu très particulier : les chutes au niveau des changements de pallier, quand il faut se décrocher des échelles d’accès ; les chutes d’objets ; l’électricité haute tension… « Il faut aussi tenir compte du fait que, en cas de problème nécessitant l’évacuation du salarié sur l'éolienne, il n'y a pas d’autre issue que la mer », évoque Benoit Louazel. Ajoutons que de multiples activités seront sous-traitées – comme c’est déjà le cas à l’étape de la construction.

Qui sera en charge de la prévention ?

Au-delà de l’augmentation des situations à risque, la question des acteurs de prévention compétents se pose aussi. Qui interviendra, si le projet de loi entérine le rattachement des salariés de la maintenance au Code des transports ? « Nous sommes partis du principe que les techniciens de maintenance dépendraient du régime général. Si ce n’était pas le cas, il faudrait vérifier si nous pouvons intervenir et comment », prévient Jean-Claude Poulain. Des conventions vont-elles être passées avec les Carsat, dont les agents de contrôle sont d’ores et déjà formés pour intervenir en mer ? Ou bien l’Etablissement national des invalides de la marine (Enim), le régime social des marins, devra-t-il tout reprendre à zéro ? A ce stade, nul ne semble le savoir.
Et les entreprises du secteur, comment envisagent-elles les choses ? Difficile à dire. Ailes marines, en charge du parc éolien au large de la baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), n’a pas répondu à nos sollicitations. Pas plus que Siemens Gamesa, qui aura en charge la maintenance des turbines actuellement en construction dans ses usines du Havre. « Nous allons surveiller tout cela de près », assure pour sa part Fabien Gloaguen, membre du bureau de l’union locale FO du Havre, alors que des entorses à la sécurité sont déjà apparues à l’étape de la construction des pales au sein de Siemens Gamesa. « Il y a eu des soucis du côté des EPI, détaille Fabien Gloaguen. Ils n’étaient pas adaptés. » Le syndicaliste évoque aussi des heures supplémentaires non payées et une organisation du temps de travail opaque. Rien de très rassurant quand on imagine que la réglementation pourrait autoriser des semaines pouvant aller jusqu’à 81 heures…

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