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En finir avec l'usure physique

par François Desriaux / avril 2018

L'arbre qui cache la forêt. Si les risques psychosociaux constituent le phénomène marquant de l'évolution des problèmes de santé au travail au cours des trente dernières années, il ne faut pas perdre de vue que nombre de salariés sont encore exposés à d'importantes contraintes physiques. En cause, le port de charges lourdes, les postures pénibles, le travail debout, les déplacements longs et à pied, les vibrations... Sources de problèmes de santé à long terme, ces contraintes pèsent négativement sur le maintien dans l'emploi, notamment celui des salariés vieillissants. Certes, l'industrie lourde, les mines, la sidérurgie, généralement vues comme des secteurs à forte pénibilité physique, ont largement décliné, mais des activités, comme les services, la logistique ou la santé ont pris le relais. Certains modes d'organisation et de management ont aggravé les contraintes de rythme et donc la charge physique. Ainsi, la rationalisation excessive du travail, qui supprime les temps morts, augmente l'hypersollicitation des corps. Elle ôte aussi des marges de manoeuvre et empêche la coopération, facteur de protection. Telles sont les pistes de prévention prioritaires. Plusieurs exemples dans ce dossier montrent que c'est possible.

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Du bon usage de la cardiofréquencemétrie

par Alain Garrigou professeur en ergonomie / avril 2018

La mesure de la fréquence cardiaque permet de mettre en lumière l'intensité des efforts physiques déployés au travail. Si elle ne suffit pas pour évaluer les risques liés à la charge physique, elle peut y contribuer, en complément d'une analyse de l'activité.

La charge physique recouvre diverses contraintes présentes dans l'environnement de travail. Certaines sollicitent plus le rythme cardiaque : activités de manutention, postures bras levés, enchaînements de positions fléchies puis en extension, températures élevées, déplacements rapides, etc. C'est pourquoi la mesure de la fréquence cardiaque (FC), ou cardiofréquencemétrie, est souvent utilisée pour jauger l'astreinte physique pesant sur le travailleur. Il est ainsi admis qu'une augmentation de la fréquence cardiaque de plus de 30 battements par minute indique une charge physique importante.

Cependant, en soi, cette information ne permet pas d'évaluer les risques liés aux contraintes physiques imposées par l'activité. Pour cela, il n'est d'ailleurs pas indispensable de mesurer la FC. Une simple observation de l'activité réelle, afin d'identifier les phases d'activité exigeantes du point de vue physique, combinée à des entretiens avec les travailleurs pour discuter de leurs effets, s'avérera aussi riche en informations.

 

Test de Brouha

 

L'intérêt de la cardiofréquencemétrie est d'objectiver l'effort physique et son intensité, notamment au regard de valeurs limites. Il est important de garder en tête que l'âge est un facteur discriminant dans cette démarche. Plus le travailleur sera âgé, plus la FC théorique à ne pas dépasser sera basse. Il faut aussi distinguer les efforts soutenus et réguliers de ceux brefs mais intenses, caractérisés par des pics d'accélération de la FC. Ces derniers nécessitent une surveillance spécifique. Dans tous les cas, il s'agit de comparer la FC en activité et celle au repos.

Pour ce faire, plusieurs outils ou méthodes existent, tel le test du pouls de récupération de Brouha. Il consiste à compter les pulsations cardiaques d'un salarié à la fin d'une activité, et ce à trois reprises, durant les 30 dernières secondes des première, deuxième et troisième minutes de repos assis. Si le pouls ne dépasse pas 110 battements à la première minute et 90 battements à la troisième, l'astreinte sera jugée acceptable.

L'usage d'un cardiofréquencemètre, placé sur le travailleur avec son accord, et d'un logiciel d'analyse associé est également fréquent (voir illustration). Les logiciels fournis par les différents systèmes permettent de récupérer les données de mesure de la FC sur un ordinateur, de les mettre en forme (courbes, histogrammes, etc.) et d'aider à leur interprétation. Différentes grilles de lecture sont utilisables, qui classent les niveaux de charge physique de "faible" à "très élevé" (selon celle de Monod et Kapitaniak) ou de "très léger" à "extrêmement dur" (selon celle de Frimat). Les outils les plus aboutis permettent de synchroniser la mesure de la FC avec l'enregistrement vidéo des séquences de travail. Il est alors possible de visualiser les activités les plus contraignantes en cliquant sur un pic de FC.

Comme cela a déjà été dit, la mesure de la FC a peu d'intérêt à elle seule pour l'évaluation des risques. Pour alimenter une véritable démarche de prévention, elle doit être articulée avec une analyse de l'activité et des autres risques présents au poste de travail. Ainsi, une augmentation de la FC combinée à une exposition à des produits chimiques va fortement contribuer au passage de ces derniers dans le corps par voie respiratoire ou cutanée. Il est alors essentiel de pouvoir l'identifier, en vue de réduire l'effort physique et le risque d'imprégnation.

À lire
  • "Evaluation des facteurs de pénibilité du travail et évolutions technico-organisationnelles : un défi pour l'ergonomie. Le cas des imprimeurs-rotativistes de la presse quotidienne à trente ans de distance" par A. Chassagnieux, A. Garrigou, M. Lortie, C. Teiger, G. Carballeda, V. Pargade, P. Pasquereau, C. Perraut, P. Auguste, P. Escuredo, G. Kévorian, Pistes no 14-1, 2012.
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