Paul Frimat, Pierre-Yves Verkindt et Christian Dellacherie (de g. à dr.) - © Nathanaël Mergui/Mutualité française
Paul Frimat, Pierre-Yves Verkindt et Christian Dellacherie (de g. à dr.) - © Nathanaël Mergui/Mutualité française

Un ensemble cohérent

par Pierre-Yves Verkindt professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne Christian Dellacherie rapporteur de "L'avenir de la médecine du travail", avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese), dont il est un ancien membre, Paul Frimat professeur de médecine et santé au travail (université de Lille) / janvier 2019

Janvier 2007. Hervé Gosselin, conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation, dénonce dans un rapport le non-sens scientifique et juridique des notions d'aptitude et d'inaptitude médicale. Octobre 2007. Le rapport de Françoise Conso et Paul Frimat, professeurs de médecine du travail, explicite le concept de la pluridisciplinarité en santé au travail et constate l'état de déshérence d'un système à bout de souffle.

Février 2008. Un avis du Conseil économique et social (CES, devenu depuis le Conseil économique social et environnemental, Cese) réalise une synthèse de ces deux approches et bâtit un ensemble de propositions solide et cohérent.

Juin 2008. La tenue d'une négociation entre les partenaires sociaux est annoncée par Xavier Bertrand, lors d'une conférence tripartite, au cours de laquelle le ministre du Travail affirme qu'il compte reprendre "entre la moitié et les deux tiers des propositions" de l'avis du CES. Il propose aussi le prélèvement de la cotisation accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) des entreprises par les Urssaf.

Début 2009. Après l'échec de la négociation entre les partenaires sociaux, le gouvernement reprend la main, mais reste au milieu du gué. L'initiative revient au Conseil national d'orientation des conditions de travail (Coct), avec les plans nationaux de santé au travail (PST). Divers axes majeurs seront définis par les trois PST successifs : inverser l'ordre des priorités en favorisant la prévention, développer la connaissance des situations réelles, prévenir l'usure professionnelle et la pénibilité, concilier amélioration des conditions de travail pour les salariés et performance globale des entreprises, prévenir la désinsertion professionnelle...

Mais aucune avancée notable n'a été réalisée dans la gouvernance du système de santé au travail, aucun cadre d'action partagé entre les acteurs dans les territoires n'a été développé.

Résultat : la mise en oeuvre des propositions du Coct a failli. Réticences et blocages subsistent. Si les missions des services de santé au travail sont maintenant définies par la loi, c'est le contenu de leur action, la faiblesse de leur coordination, la difficulté culturelle de se situer dans une perspective de santé publique qui continuent à décevoir. Là où la logique du parcours professionnel et de sa sécurisation devrait instaurer le primat du suivi et de la traçabilité, l'organisation éclatée ne permet pas une démarche efficace. Réduit à la juxtaposition d'actions sans cohérence d'ensemble et sans coordination institutionnelle, le système de santé au travail ne parvient pas à conjurer son déficit d'image et d'efficacité. Une réforme profonde s'impose. Une "fenêtre de tir" s'est ouverte dont il faut profiter. En effet, la branche AT-MP de l'Assurance maladie connaît un excédent budgétaire depuis plusieurs années. Elle a donc aujourd'hui les moyens de financer la révolution copernicienne dont ont besoin le système de santé au travail et, plus largement, la démarche de qualité de vie au travail, dans l'esprit des orientations du 3e plan santé au travail. Le meilleur service que puisse rendre la Commission AT-MP à la bonne gestion de la réparation, c'est de financer la prévention en assurant les moyens de son autonomie et de son efficacité.

Au-delà de la question des moyens, il faut également sortir, enfin, de la logique organisationnelle actuelle, où chaque acteur gère dans son coin "sa" santé au travail. La mission Lecocq, Dupuis et Forest propose un ensemble d'orientations cohérentes. Il faut monter en compétence en termes d'outils de partage de données, de coopération, de suivi rigoureux, pour répondre aux besoins de santé des travailleurs et des entreprises.

Le futur dispositif régional doit tenir compte des disparités territoriales avec une construction de type fédéraliste à gestion paritaire regroupant les services de santé au travail et les autres acteurs de la prévention. Pas de progrès sans mutualisation des moyens, sans exercice des responsabilités. Allons au bout de cet effort de prise en charge, vers ce guichet unique, pour développer des équipes pluridisciplinaires et des actions collectives dans le cadre des territoires. Toutefois, il ne faudrait pas perdre l'âme du dispositif. Nous devons privilégier proximité, coordination et mutualisation. L'objectif n'est pas de construire une nouvelle "hiérarchie verticale". Organisons la synergie entre les différents organismes dont la vocation est de rendre effective la "sécurité sociale" au travail et de promouvoir l'engagement de l'entreprise comme actrice de la santé au travail.

La mise en place d'expérimentations sur les territoires permettrait enfin d'atteindre la ligne d'arrivée. N'ayons pas peur de changer les organisations. Mais il ne faut plus tarder.