© Nathanaël Mergui/Mutualité française
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Entre maladie professionnelle et invalidité, que choisir ?

par Mélissa Menetrier médecin du travail / octobre 2019

Déclarer sa maladie professionnelle n'est pas toujours financièrement avantageux pour un salarié pouvant prétendre à une pension d'invalidité. Avant d'opter pour l'un ou l'autre des dispositifs, il doit en peser le pour et le contre à l'aune de sa situation.

L'étude du dispositif de reconnaissance des maladies professionnelles (MP) a depuis longtemps mis en évidence un phénomène de sous-déclaration. De nombreux acteurs se sont investis pour mieux en comprendre les origines et les conséquences. Il en ressort que, si l'on se place du point de vue du collectif ou de la société, il faut encourager la déclaration de toutes les maladies professionnelles. Cela fait avancer les connaissances, la prévention, la recherche... C'est pourquoi il y a de fortes incitations dans ce sens. Mais, paradoxalement, dès lors que l'on se place du point de vue de l'individu concerné, faire reconnaître sa pathologie en MP ne permet pas toujours la meilleure prise en charge financière, notamment quand on pourrait prétendre à une pension d'invalidité. Etre malade à cause du travail et être moins bien indemnisé, voilà qui constitue une double peine. Comment éviter une telle situation ?

Des règles d'indemnisation complexes

Géré par la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), le régime général de la Sécurité sociale est divisé en deux parties : la branche maladie, dont relève l'invalidité, et la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP). Inscrites dans le Code de la Sécurité sociale, leurs règles d'indemnisation sont différentes, mais tout aussi complexes (voir tableau page 47 et "Repère" ci-contre).

 

Repère

Barème. Le taux d'incapacité permanente partielle (IPP), pour les maladies professionnelles (MP), se détermine selon le barème indicatif défini à l'annexe 1 de l'article R. 434-32 du Code de la Sécurité sociale. En revanche, faute de barème officiel codifié, le passage en invalidité, catégorie 1, 2 ou 3, dépend de l'appréciation du médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance maladie. Ce dernier peut s'appuyer sur plusieurs barèmes ou guides existants, notamment dans le domaine du handicap. Toutes ces références sont différentes du barème des MP, puisqu'il s'agit ici d'apprécier si les deux tiers de la capacité de travail ou de gain sont entamés.

La reconnaissance d'une MP fait bénéficier le salarié de deux avantages pendant sa période de soins : d'une part, le coût de ces soins est pris en charge à 100 % (dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale) ; d'autre part, pendant son arrêt de travail, le malade perçoit des indemnités journalières (IJ) s'élevant à 60 % du salaire journalier de référence le premier mois, à 80 % les suivants.

Lorsque le salarié est guéri ou que son état de santé n'évolue plus, la MP est déclarée "consolidée" par le médecin traitant ou par le médecin-conseil de la Sécurité sociale. Si des soins d'entretien sont encore nécessaires (antalgiques, kinésithérapie...), ils peuvent être pris en charge à 100 %.

En cas de séquelles, une indemnisation sera versée. Son montant dépend du taux d'incapacité permanente partielle (IPP) fixé par le médecin-conseil :

  • un taux de 0 % correspond à une guérison sans séquelle et ne donne lieu à aucune indemnisation ;
  • de 1 à 10 %, un capital forfaitaire est versé (entre 417 et 4 176 euros) ;
  • à partir de 10 %, une rente à vie est accordée. Son montant peut toutefois être décevant ;
  • à partir de 80 %, une prestation complémentaire peut être versée pour recours à tierce personne (aide pour les actes de la vie courante).

A noter que la rente est majorée en cas de faute inexcusable de l'employeur. Au-delà de la consolidation, les IJ ne sont plus versées. Il faut donc reprendre le travail, soit sur le même poste (avec ou sans aménagement), soit sur un autre poste en cas de reclassement. Quand la reprise est impossible, c'est l'inaptitude qu'il faut alors envisager, avec toutes les incertitudes sur l'avenir professionnel qui en découlent. Maigre consolation : en cas de licenciement pour inaptitude à la suite d'un AT ou d'une MP, les indemnités légales sont doublées.

Étude de cas

Pour saisir la différence de prise en charge financière existant entre ce dispositif et celui de l'invalidité, prenons la situation concrète d'un employé de la logistique, rémunéré 1 550 euros brut (1 209 euros net) par mois. Il souffre d'une tendinite de l'épaule grave liée au port de charges et aux mouvements répétitifs, qui entraîne une incapacité à utiliser son bras. Son taux d'IPP prévisible étant de l'ordre de 25 %, il bénéficiera d'une rente à vie de 108,50 euros par mois en cas de reconnaissance en maladie professionnelle.

Si ce salarié ne fait pas de déclaration en MP, il sera pris en charge par l'assurance maladie. Ses soins seront remboursés en fonction des barèmes de la Sécurité sociale et, lors d'un arrêt de travail, il percevra des IJ à hauteur de 50 % du salaire journalier de base.

Quand la maladie conduit à une diminution de la capacité de travail ou de gain d'au moins deux tiers, une pension d'invalidité peut être versée jusqu'au départ à la retraite. Son montant dépend de la catégorie fixée par le médecin-conseil : en catégorie 1, il s'élève à 30 % du salaire moyen annuel des dix meilleures années ; en catégorie 2, à 50 % ; en catégorie 3, à 50 %, plus 40 % de majoration pour recours à tierce personne. Notre employé de la logistique pourrait, lui, prétendre à une invalidité catégorie 1. Chaque mois, il percevrait une pension de 465 euros, soit près de 360 euros de plus que pour une maladie professionnelle reconnue.

Cumul possible, mais rare

Le cumul d'une pension d'invalidité et d'une rente pour maladie professionnelle n'est possible que lorsque cette maladie intervient dans un état global d'invalidité, c'est-à-dire lorsque le salarié souffre d'autres pathologies invalidantes, non professionnelles. Dans le cas contraire - le plus fréquent -, il faut choisir entre les deux dispositifs.

Financièrement, la pension d'invalidité est souvent plus avantageuse que la rente de MP, ce qui permet plus facilement de travailler à temps partiel, voire de stopper l'activité. En revanche, elle ne sera versée que jusqu'au départ en retraite, et non à vie. Par ailleurs, elle est imposable, contrairement à la rente de MP. Du point de vue individuel, l'intérêt de déclarer une maladie professionnelle ou non (pour pouvoir prétendre à une pension d'invalidité) doit s'étudier au cas par cas, en tenant compte de divers facteurs.

  • Facteurs liés à la nature et à la gravité de la maladie
    • Une guérison sans séquelles est-elle possible ? Si oui, la prise en charge des soins et les IJ sont plus avantageuses avec une MP.
    • Si des séquelles sont attendues, quel taux d'IPP est prévisible ?
  • Facteurs liés au contexte social
    • Quel âge a le salarié ? S'il est jeune ou très proche de la retraite, une rente à vie pourrait être plus intéressante. S'il est en fin de carrière mais qu'il lui reste plusieurs années d'activité, une pension d'invalidité lui permettrait plus facilement de tenir jusqu'à la retraite, via un temps partiel.
    • Le coût des soins est-il couvert ou non par une mutuelle ?
    • Le salarié bénéficie-t-il d'un contrat de prévoyance pouvant compléter la pension d'invalidité ? Si oui, il peut percevoir environ 50 % du salaire pour une catégorie 1 et 90 % pour une catégorie 2. En cas de MP reconnue, un complément de la prévoyance peut également être versé, mais un taux d'IPP important est généralement requis.
  • Facteurs liés à l'emploi
    • Quelles sont les conditions de travail du salarié ? Au besoin, sera-t-il possible d'aménager son poste de travail ou de lui proposer un reclassement dans l'entreprise ? Ou bien un licenciement pour une inaptitude est-il à craindre ? Si une réduction du temps de travail ne s'impose pas ou qu'il y a peu de risque de perte d'emploi, une déclaration de MP peut être plus avantageuse.
    • Le salarié sera-t-il, si nécessaire, en capacité d'effectuer une reconversion professionnelle ?

Accompagnement recommandé

Pour prendre la bonne décision, une multitude de paramètres sont donc à considérer. Le point essentiel à retenir est que la victime doit être bien informée pour qu'elle puisse faire le choix le plus éclairé possible. Avant d'entamer toute démarche, il vaut donc mieux prendre conseil auprès de personnes maîtrisant le sujet (médecin du travail, travailleur social...) afin d'envisager tous les scénarios et d'effectuer des simulations financières.