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« Être victime du travail ouvre difficilement droit à réparation »

entretien avec Catherine Cavalin, chargée de recherche à l'Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (IRISSO)
par François Desriaux / 05 mars 2021

Les premiers chiffres de la prise en charge du Covid-19 au titre des maladies professionnelles, annoncés par le gouvernement, montrent les limites du dispositif. Catherine Cavalin, sociologue et coauteure de « Cent ans de sous-reconnaissance des maladies professionnelles », nous livre son analyse.

Seulement 265 cas de Covid-19 auraient été reconnus en maladies professionnelles au 18 février. Cela semble très peu au regard des engagements du président de la République vis-à-vis des « premiers de corvée » qui ont payé un lourd tribut au coronavirus. Quel regard portez-vous sur ces éléments ?
Catherine Cavalin : Cet épisode nous rappelle qu’une maladie professionnelle est une réalité médico-légale. Il ne suffit pas d’avoir été infecté par le virus SARS-CoV-2 dans le cadre de son travail pour obtenir une reconnaissance du Covid-19 comme maladie professionnelle. Cette dernière n'est reconnue en France que pour les travailleurs en contact avec des patients – soignants, personnels des Ehpad, aides à domicile… – et sous condition d’être atteint d’une pathologie respiratoire grave et de faire sa déclaration dans les 14 jours suivant l’infection. Les travailleurs non-soignants, dits de « deuxième ligne », peuvent toujours recourir à un Comité de reconnaissance des maladies professionnelles (CRMP) ; néanmoins, on peut craindre que cette voie d’appel, en dehors des tableaux de maladies professionnelles, ne débouche que sur de nombreux refus d’indemnisation. Il sera quasi impossible aux demandeurs de prouver qu’ils ont bien été contaminés dans le cadre de leur travail. Si la réparation du Covid-19 paraît insuffisante aux yeux de l’opinion, c’est qu’une solidarité en faveur de celles et ceux qui exposent leur santé pour la collectivité pendant la pandémie paraît faire l’unanimité. Cette contradiction politique et morale résume un trait de la longue histoire des maladies professionnelles : être victime du travail ou dans le travail ouvre difficilement droit à une reconnaissance et une indemnisation juste du préjudice.


Votre ouvrage témoigne d’une prise en compte insuffisante des maladies professionnelles depuis longtemps, tant sur le plan de la reconnaissance que de la réparation des préjudices. Comment expliquez-vous qu’aucune amélioration n’ait été apportée au système ?
C.C. : Le dispositif s’est amendé au fil du temps pour permettre en principe une meilleure réparation. En France, depuis 1993, un système complémentaire permet d’accéder à l’indemnisation d’une pathologie qui ne figure dans aucun tableau de maladie professionnelle ou que l’on a contractée dans des conditions non prévues par ces tableaux. Toutefois, ces correctifs butent durablement sur des obstacles structurels. Ainsi, la logique restrictive des tableaux tend à s’appliquer de manière aussi rigide au système complémentaire. De plus, la formation initiale et continue des médecins sur ces questions souffre d’une indigence chronique ; ces derniers ne sont pas en mesure de venir en aide aux victimes confrontées à des démarches complexes. Enfin, la logique financière tend à l’emporter : dans un système où le coût des accidents du travail et des maladies professionnelles est à la charge des employeurs, il n’apparaît pas illégitime de s’abîmer ou de perdre sa vie à la gagner, sans réparation ou sans réparation proportionnée aux dommages subis. Sur le fond, cela pose la question politique de savoir pourquoi, collectivement, on consent à laisser irrésolues des problèmes de justice sociale portant sur le travail.


L’indemnisation des victimes professionnelles de l’amiante a donné lieu à une réparation intégrale des préjudices via un fonds spécial. Plusieurs associations et organisations syndicales, ainsi que des parlementaires, proposent de faire de même pour le Covid-19. L’amélioration du sort des victimes du travail implique-t-elle de sortir du dispositif actuel ?
C.C. : De nombreuses idées de réformes ont été avancées, notamment pour proposer une réparation intégrale – et non forfaitaire, comme c’est le cas actuellement – des maladies professionnelles. Ce serait une manière de se rapprocher du droit commun qui, depuis les années 1980 en France, tend à indemniser dans leur ensemble les préjudices subis par les victimes. Mais cette option est irrecevable aux yeux des employeurs. Leur opposition, qui paraît déterminante pour les pouvoirs publics, bloque toute évolution du système. À l’heure où est discutée la création possible d’un fonds d’indemnisation spécifique pour le Covid-19, sur le modèle de ceux mis en place pour l’amiante ou encore les pesticides, il est important de rappeler deux piliers du système, qu’il est impératif de conserver. Il s’agit, d’une part, de la « présomption d’imputabilité » : elle exonère les travailleurs de la charge de la preuve quant à l’origine de leur maladie. D’autre part, « l’obligation de sécurité de résultat », à laquelle l’employeur est tenu, est essentielle pour la prévention. Ces deux fondations du système, régulièrement attaquées, sont cruciales pour la protection sociale du travail. Notre ouvrage est aussi un encouragement à défendre ces principes fondamentaux.

Reconnaissance du Covid-19 : des chiffres très faibles
F.D.

Le 18 février dernier, lors du débat parlementaire sur la proposition de loi en faveur de la création d’un fonds d’indemnisation Covid-191 , 265 cas de Covid avaient été reconnus au titre des maladies professionnelles, selon le recensement du gouvernement.
Le 13 janvier, lors de la réunion de la Commission accidents du travail-maladies professionnelles (CAT-MP), la direction des Risques professionnels de la Sécurité sociale a présenté un état des lieux de la prise en charge de la pathologie induite par le coronavirus. Dans le document que Santé & Travail a pu consulter, on lit que sur 9603 cas déclarés, 101 ont été reconnus au titre du tableau n° 100 ; 15 l’ont été au titre du recours devant le Comité de reconnaissance en maladie professionnelle (MP) – 23 dossiers ayant été adressés à cette instance. Par ailleurs, le document mentionne que 5427 cas de Covid-19 ont été reconnus en accident du travail (AT) ; 65 décès dus à cette maladie ont été reconnus en AT ou en MP.
Ce sont sans doute ces maigres chiffres qui ont poussé le député LREM de la Loire, Julien Borowczyk, à faire voter une résolution, signée par 300 de ses collègues. Elle gouvernement à mieux prendre en charge, notamment au titre des maladies professionnelles, les complications à long terme du Covid-19.

  • 1Déposée par le député de la Loire Régis Juanico.