© Nathanaël Mergui/Mutualité française
© Nathanaël Mergui/Mutualité française

Des expositions professionnelles encore préoccupantes

par Joëlle Maraschin / 09 septembre 2019

Plus de 1,8 million de personnes restent exposées à au moins un produit cancérogène, selon les premiers résultats de la nouvelle enquête Sumer. Si les expositions à certaines contraintes physiques ont diminué, l’intensité du travail est toujours élevée.

Comment, pour les salariés du secteur privé, les expositions aux risques professionnels ont-elles évolué au cours des vingt dernières années ? Les premiers résultats de l’enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer) 2017, présentés à la presse le 9 septembre par les services de la direction de l’Animation de recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) du ministère du Travail, montrent des « évolutions contrastées ».
Certaines contraintes physiques (manutention manuelle de charges, travail répétitif à cadence élevée, station debout ou piétinement prolongé) ont globalement diminué depuis 1994. Elles restent cependant élevées, avec par exemple 35 % de salariés exposés à la manutention manuelle de charges. La diminution de la contrainte « station debout ou piétinement prolongé » est certes constatée pour des durées d’exposition longues, mais le nombre de salariés exposés sur des durées de deux à dix heures augmente. Les contraintes posturales, c’est-à-dire les postures forcées d’une ou plusieurs articulations, ont, quant à elles, augmenté depuis 2010 chez les ouvriers et plus encore dans le secteur de l’agriculture.

Produits chimiques en hausse dans les services

Un tiers des salariés du secteur privé sont toujours exposés à au moins un agent chimique et 15 % sont exposés à au moins trois produits chimiques. Les expositions aux agents chimiques ont diminué depuis 1994 dans le secteur de l’agriculture et de l’industrie, mais elles ont augmenté dans la construction, avec 58 % des salariés exposés. Ce sont les ouvriers qui sont le plus exposés, que ce soit à des carburants, émissions de moteurs diesel et autres moteurs, huiles synthétiques, ciment, fumées de soudage ou encore solvants. Une augmentation de l’exposition, notamment aux produits chimiques utilisés pour le nettoyage et la désinfection, est également observée dans le secteur des services. Le développement important des professions de l’aide à domicile pourrait expliquer cette évolution. Les expositions aux produits chimiques cancérogènes concernent toujours 10 % des salariés, soit aujourd’hui plus de 1,8 million de personnes. Les salariés les plus touchés sont ceux de la construction (31 %) et les ouvriers qualifiés (30 %).
Les expositions au risque biologique sont en hausse (19 % des salariés). Cette augmentation s’explique en partie, selon la Dares, par un meilleur repérage des risques après la pandémie grippale survenue en 2009. La progression concerne surtout le secteur de l’agriculture et les employés de commerce et de services.

Une quantité de travail excessive

L’intensité du travail a augmenté depuis vingt ans, même si elle est en « légère baisse » depuis 2010 s’agissant des contraintes de rythme. Le contrôle ou le suivi informatisé a cependant augmenté : les salariés concernés sont passés de 14 % à 32 % entre 1994 et 2017. Par ailleurs, 66 % des salariés considèrent qu’on leur demande de travailler très vite, 35 % jugent qu’on exige d’eux une quantité de travail excessive et 30 % déclarent ne pas disposer du temps nécessaire pour faire correctement leur travail. En 2017, 42 % des salariés n’ont pas de latitude pour faire varier les délais fixés, contre 35 % en 2003.
La proportion de salariés en situation de job strain (tension au travail) selon le modèle de Karasek, c’est-à-dire connaissant une forte charge psychologique combinée à une faible latitude décisionnelle, est aussi élevée qu’en 2010 (32 %). « Les études épidémiologiques ont montré que le job strain augmente les risques de dépression, de troubles cardiovasculaires et de troubles musculo-squelettiques », souligne Nicolas Sandret, ancien médecin-inspecteur du travail et cosignataire de l’analyse des données Sumer.

Moins de comportements hostiles

Des évolutions favorables sont cependant observées : le sentiment de manquer de reconnaissance au travail est en baisse, tout comme l’exposition à des comportements hostiles (atteintes dégradantes, déni de reconnaissance, comportements méprisants), même si ceux-ci concernent encore 15 % des salariés. Faudrait-il en conclure que la souffrance au travail est moins importante ? « Ces résultats nous interpellent au regard de ce que font remonter les médecins du travail », note Sarah Memmi, sociologue à la Dares. Une journée de réflexion est d’ores et déjà prévue pour mieux comprendre ce décalage entre les données chiffrées et les constats cliniques.