Fonction publique : travaux pénibles à la Ville de Paris

par Martine Rossard / janvier 2011

Les syndicats de la Ville de Paris dénoncent une dégradation des conditions de travail des agents ainsi que des moyens de prévention insuffisants. Une vision contestée par la municipalité, qui reconnaît néanmoins l'existence d'un malaise.

Des conditions de travail à améliorer. " C'est sous ce titre que le bilan social 2009 de la Ville de Paris a dressé un constat en demi-teintes sur la santé au travail de ses agents. Soit une hausse des accidents du travail et des maladies professionnelles - des troubles musculo-squelettiques pour 80 % - " malgré des moyens de prévention accrus ". Des moyens jugés insuffisants par les syndicats. Dans un tract daté de novembre dernier, la CGT cadres et techniciens parisiens dénonce une souffrance au travail, générée par des objectifs de rentabilité et des modes de management empruntés au secteur privé. Selon les 1 060 réponses à une enquête menée par la CGT en 2009, 44 % des agents jugent que leurs conditions de travail se sont dégradées au cours des trois dernières années, tandis que 63 % placent le manque de reconnaissance comme premier motif d'insatisfaction. La CGT s'offusque de l'absence de débat sur ces résultats en comité d'hygiène et de sécurité (CHS) central. " Je n'ai pas été saisie d'une demande en ce sens ", rétorque pour sa part Maïté Errecart, élue en charge des ressources humaines et présidente du CHS central, qui ne nie pas le malaise. Elle cite ainsi une enquête de l'Observatoire social de la Ville, datée de 2008, signalant que 30 % des agents souffrent d'un manque de reconnaissance.

Il semble cependant difficile de dresser un seul et même diagnostic pour tout le personnel d'une municipalité qui compte 50 000 agents permanents, 10 000 autres non permanents, 3 000 sites (mairies, parcs, bibliothèques...), de 200 à 300 métiers allant de l'administrateur au jardinier en passant par l'infirmier, le professeur d'arts plastiques... Il y a certes des éléments objectifs : les 3 950 accidents du travail en 2009, le déficit de près d'un millier de postes entre les effectifs budgétés et les effectifs réels, le fait que la moitié des agents occupe des fonctions ouvrières ou techniques. Mais les problèmes de santé au travail se mesurent plus efficacement sur le terrain.

" Debout huit heures par jour "

Ainsi, au service du nettoiement, la CGT décrit des métiers " pénibles et insalubres ", avec un port de charges important - " environ 5 tonnes en un tour de benne " - et des balayeurs " debout huit heures par jour ". Elle déplore des chutes, des glissades, des tours de rein, des cancers et même des suicides. " Faute de formation pour un reclassement, les agents inaptes à leur poste sont licenciés ou mis en retraite d'office ", regrette le secrétaire général du syndicat CGT du nettoiement, Régis Vieceli. " Au moins, avant, ajoute-t-il, on avait la retraite à taux plein à 55 ans. Mais à l'avenir, ce sera à 57 ans. " Sur ce sujet, Maïté Errecart ne cache pas son embarras : " Je suis préoccupée par l'allongement des carrières... On peut négocier, mais tout dépend de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. "

La municipalité est consciente que le nettoiement est très touché par les accidents du travail, de même que les espaces verts, et elle a décidé de cibler son effort de prévention sur ces secteurs. " Nous organisons des formations gestes et postures et nous avons amélioré la tenue de travail des éboueurs pour renforcer leur visibilité sur la voie publique ", explique Maïté Errecart. Mais, critique Françoise Riou, secrétaire générale du syndicat CFDT, " la direction de la voirie conçoit les aménagements urbains sans consulter les agents du nettoyage "...

D'autres agents connaissent la pénibilité. Les auxiliaires de puériculture notamment. " Elles soulèvent et portent les enfants à longueur de journée et attrapent des TMS à force de changer leurs couches ", souligne Françoise Riou. Les égoutiers aussi. " Ces derniers sont exposés au risque d'hépatite E, transmise par les matières fécales des rats, et à l'hydrogène sulfuré, responsable d'irritations, brûlures, vomissements, diarrhées... ", expose le Dr Claude Danglot, responsable CGT et initiateur de l'enquête menée en 2009, mais également microbiologiste et membre du service de médecine préventive de la Ville, aujourd'hui à la retraite. Pour lui, la direction n'assure pas une prévention suffisante, alors que " les égoutiers ont une espérance de vie inférieure de sept ans à celle des autres ouvriers " (voir " A lire "). " Quatre retraités quinquagénaires sont décédés cette année ", tempête Rudy Pahaut, de la CGT des égoutiers de Paris.

" Open stress "

Peu confrontés aux risques physiques, les administratifs semblent l'être davantage aux risques psychosociaux. La CFDT dénonce un " manque de sens " dans le travail et une hiérarchie pesante. L'Union des cadres de Paris (UCP) pointe le manque de concertation, la surcharge de travail et les grands bureaux ouverts, que la CGT cadres décrit comme des " open stress ". Pascal Muller, de la CGT, évoque également des cas de harcèlement moral mal réglés, avec des victimes mutées ailleurs et " des harceleurs qui restent en place ". Faut-il voir une relation de cause à effet ? Le bilan social signale une hausse constante du taux d'absentéisme, qui atteint 10,94 % en 2009.

Pourtant, en 2009, la Ville a consacré 26,4 millions d'euros à la prévention. Et elle dispose d'un maillage serré d'agents chargés de la prévention, avec 30 conseillers et 60 animateurs à plein temps, plus quelque 400 agents assumant un rôle ponctuel de relais. Sans compter un bureau central de prévention des risques et un comité d'hygiène et de sécurité (CHS) dans chaque direction. Sauf que ces derniers semblent avoir du mal à faire appliquer leurs préconisations. Certains en interne parlent de l'inertie des décideurs, du manque d'autonomie des services, des obstacles financiers... Nous sommes " en autocontrôle, mais les chefs de service sont responsables et le maire peut les sanctionner ", indique Yves Courtois, chef de la mission d'inspection hygiène et sécurité.

Pour l'avenir, Maïté Errecart mise sur le déploiement d'un plan pluriannuel de santé au travail, qui devrait être présenté en janvier au CHS central. Mais, interrogent des syndicalistes, avec quels moyens ? Ainsi, si l'élue se félicite de l'avancement des documents uniques d'évaluation des risques réalisés dans les directions, les syndicats contestent le mode d'élaboration desdits documents dans les services, " simples copier-coller " de ceux des directions. Le rôle des CHS, pas encore devenus CHSCT, fait également débat. Maïté Errecart voit en eux des " forces de proposition " utiles et écoutées, quand les représentants du personnel ont l'impression d'évoluer dans des " chambres d'enregistrement " privées de moyens.

Reste la question du suivi médical, qui dépend de deux services distincts : la médecine de prévention pour la surveillance médicale et les aménagements de postes ; la médecine statutaire pour l'aptitude au poste et la reconnaissance des accidents du travail et maladies professionnelles. Avec des dossiers séparés ! Face au manque de médecins de prévention, la municipalité envisage de faire effectuer les visites médicales par des infirmières. Un projet là aussi potentiellement conflictuel.

En savoir plus

À lire

  • Une étude épidémiologique menée depuis plusieurs années sur les égoutiers parisiens, avec la participation du service de médecine de prévention de la Ville de Paris, montre en 2009 une surmortalité chez ces derniers pour certains cancers, en faisant le lien avec l'exposition à des polluants professionnels. Lire notamment " Biomarqueurs d'évaluation d'une exposition complexe : exposition à des polluants professionnels chez les égoutiers parisiens ", par H. Al Zabadi, L. Ferrari, I. Sari-Minodier, Y. Le Moullec, A. Tiberguent, C. Paris et D. Zmirou-Navier. Une présentation de l'étude est consultable sur www.medecine-sante-travail.com/files/lib/2010/S2_02_1400_L_FERRARI.pdf