Le fonctionnement illégal du service médical de France Télécom

par François Desriaux / 16 septembre 2009

Depuis la privatisation de France Télécom, le service médical du travail de l'opérateur fonctionne sans avoir reçu d'agrément réglementaire. Une procédure qui aurait pu permettre au ministère du Travail d'intervenir plus tôt.

Selon son entourage, le ministre du Travail, Xavier Darcos, a dû faire preuve de fermeté pour que le PDG de France Télécom, Didier Lombard, admette qu'il y ait un vrai problème de souffrance au travail dans son entreprise et que son traitement requérait d'autres méthodes et d'autres moyens que ceux déployés jusque-là. Il était temps !

Mais on peut se demander aussi ce qu'a fait le ministère du Travail depuis la privatisation de l'opérateur, alors que de multiples signaux d'alerte sont intervenus, indiquant une situation dégradée ? Pas grand-chose malheureusement.

Ainsi, en annonçant à l'issue de sa rencontre avec Didier Lombard, qu'avant de délivrer l'agrément du service autonome de médecine du travail de l'opérateur, il procéderait à un « examen attentif des moyens mis en œuvre pour traiter la prévention des risques psychosociaux »,le ministre du Travail donne le change. Mais, il masque le fait que le service médical du travail de France Télécom fonctionne depuis quatre ans sans l'agrément des pouvoirs publics et sans que le ministère n'ait tapé du poing sur la table. Or, précisément, cet agrément est « le moyen » pour les pouvoirs publics de contrôler le bon fonctionnement des services de médecine du travail. Et on ne peut pas dire que celui de France Télécom offre cette garantie.

« Mission impossible »

Dans les faits et selon notre enquête, depuis début 2008, les services du ministère du Travail et de sa direction régionale d'Ile-de-France essayent d'instruire la demande d'agrément du service médical autonome de l'entreprise. Mais selon plusieurs sources en charge du dossier, « la structure du projet proposé par l'opérateur serait incompatible avec les éléments réglementaires exigés pour un agrément, d'autant que l'entreprise est en perpétuelle réorganisation ». En outre, l'instruction de ce dossier d'envergure nationale, relève d'une « mission impossible » compte tenu du manque d'effectif chronique des médecins-inspecteurs régionaux du travail (MIRT) chargés d'assister les inspecteurs du travail dans cette mission. C'est notamment le cas en Ile-de-France.

Surtout, les avis collectés par l'administration auprès des MIRT dans les régions où l'opérateur téléphonique a un établissement sont souvent réservés, quand ils ne sont pas défavorables. Manque de médecins ou insuffisance du contrôle social par les instances représentatives du personnel sont à l'origine de ces réserves. Le comité central d'entreprise de France Télécom consulté annuellement sur l'activité du service médical, a émis lui aussi des avis défavorables à plusieurs reprises.

On peut donc s'interroger sur le manque de fermeté du ministère du Travail, pour contraindre France Télécom à remédier à cette situation. Il aurait pu le faire, à la fois dans sa fonction de contrôle et via les représentants de l'Etat au sein du conseil d'administration de l'opérateur.

Cette affaire illustre la faiblesse du contrôle par l'Etat du bon fonctionnement des services de médecine du travail. Elle a été pointée en 2004 par un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). « La mise en œuvre de la procédure d'agrément, peut-on lire dans la synthèse de ce document, relève de l'improvisation permanente : absence de vision d'ensemble, défaut de pilotage, hétérogénéité des pratiques, manquements à la réglementation et décisions irrégulières sont monnaie courante. Il n'est pas rare que des services fonctionnent sans agrément pour une plus ou moins longue période. Nombre d'entre eux sont agréés alors qu'ils ne remplissent pas les conditions réglementaire.»

Ce rapport est pour le moment resté lettre morte

Il semble que ces lacunes sont encore plus grandes lorsqu'il s'agit d'un service médical autonome, c'est-à-dire propre à une grande entreprise, a fortiori lorsque celle-ci, à l'image de France Télécom ou EDF, a l'Etat comme actionnaire. Il arrive d'ailleurs que l'avis réservé ou défavorable émis par le MIRT soit transformé en avis favorable par le directeur régional du Travail.

Cette carence de l'Etat n'est pas qu'administrative. Concrètement, elle n'incite pas les entreprises à respecter la difficile mission du médecin du travail, qui est d'éviter toute altération de la santé des salariés. Elle favorise les déviances comme celles du service médical de France Télécom (voir « France Télécom : une médecine du travail aux ordres ? »), lequel privilégie l'adaptation de l'homme au travail à l'adaptation du travail à l'homme. Cette seconde notion étant pourtant la seule inscrite dans l'article L. 4121-2 du code du travail, qui définit les principes généraux de prévention.

Enfin, sur le plan juridique, il semble, selon les experts consultés par Santé & Travail que, lorsqu'un service médical n'est pas agréé, les avis médicaux du médecin du travail tels que l'aptitude ou l'inaptitude d'un salarié n'ont pas d'existence légale.

On imagine l'imbroglio juridique si un salarié de France Télécom déclaré inapte s'avisait de contester cet avis devant un tribunal.