Hervé Moreau (Snes), Brigitte Sénèque (SNU Tefe), Yann Mahieux (Snasub), Luce Desseaux (SnuIPP), Jean-Luc Pirenet (Snuter) (de g. à dr.) - © DR
Hervé Moreau (Snes), Brigitte Sénèque (SNU Tefe), Yann Mahieux (Snasub), Luce Desseaux (SnuIPP), Jean-Luc Pirenet (Snuter) (de g. à dr.) - © DR

La FSU met le travail en chantiers

par Nathalie Quéruel / avril 2018

La FSU n'a pas qu'une équipe en charge de la santé au travail, elle en a plusieurs. Son Institut de recherches a lancé en 2006 un chantier travail qui, décliné par les syndicats de la fédération, nourrit la réflexion et l'action des militants.1

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    Cet article constitue le cinquième volet de la série de "portraits" que Santé & Travail consacre aux équipes en charge des questions de santé au travail au sein des différentes centrales syndicales.

La loi du 5 juillet 2010 instaurant les CHSCT dans les fonctions publiques d'Etat et territoriale1 a constitué un tournant pour les syndicalistes de la Fédération syndicale unitaire (FSU), déterminés à améliorer les conditions de travail. "Ces questions étaient jusqu'alors traitées au quotidien sur le terrain, mais elles n'étaient pas portées par un cadre réglementaire, souligne Yann Mahieux, représentant du Snasub (voir "Repère") au CHSCT ministériel de l'Education nationale. Depuis, il y a un espace de régulation et de dialogue qui renforce nos actions." Cette culture de la santé au travail, il a fallu la diffuser auprès des militants et des personnels dans les différents syndicats nationaux de la FSU, deuxième organisation syndicale de la fonction publique d'Etat. Au niveau fédéral, les revendications sur les conditions de travail se traitent en commission "Situation des personnels", qui aborde également des sujets associés tels que la carrière, la formation ou encore l'égalité femmes-hommes.

 

Repère

La Fédération syndicale unitaire (FSU) est l'une des plus importantes fédérations syndicales de la fonction publique. Elle regroupe notamment :

  • Snasub :Syndicat national de l'administration scolaire et universitaire et des bibliothèques.
  • Snes :Syndicat national des enseignements de second degré.
  • SnuIPP :Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC.
  • SNU PE :Syndicat national unitaire Pôle emploi.
  • SNU Tefe :Syndicat national unitaire travail, emploi, formation professionnelle, économie.

Chaque syndicat adhérent agit en se nourrissant notamment des travaux de l'Institut de recherches de la FSU. Celui-ci a en effet ouvert à l'automne 2006 un chantier travail, dont l'objectif est d'aider les militants "dans la mise en mouvement des salariés, dans le développement de leurs capacités d'agir sur leur propre travail". Le chantier a donné lieu, en 2010, à la parution du livre Le travail enseignant. Le visible et l'invisible, qui croise l'analyse de chercheurs et la parole d'enseignants.

 

La FSU et le travail en 4 dates
  • 2006 : Lancement du chantier travail de l'Institut de recherches de la FSU.
  • 2010 : Le travail enseignant. Le visible et l'invisible (Syllepse).
  • 2017 : Le travail hors la classe des professeurs des écoles (Syllepse).
  • 2018 : Campagne "Reprenons la main sur notre santé".

 

Échanger sur les pratiques professionnelles

C'est dans un esprit analogue que le Snes, syndicat des personnels d'éducation du second degré, avait créé il y a déjà une quinzaine d'années son "groupe métier" pour débattre du travail : "Nous avons coopéré avec l'équipe psychologie du travail et clinique de l'activité d'Yves Clot2 et mis en place des dispositifs pour échanger sur nos pratiques professionnelles, indique Hervé Moreau, secrétaire national protection sociale et santé au travail du Snes. Ce dialogue, à partir des difficultés quotidiennes et concrètes rencontrées, permet aux participants de prendre du recul et de retrouver des gestes professionnels qui redonnent sens au travail. Il offre aussi la possibilité de construire des revendications à partir du réel, les collègues devant être armés face à l'administration pour contrer les changements d'organisation préjudiciables."

Le SnuIPP, syndicat des professeurs du premier degré, a lancé en 2010 son propre chantier travail avec un collectif d'enseignants accompagné de chercheurs, d'abord dans l'Yonne, puis dans les Bouches-du-Rhône. Trop d'élèves par classe, manque de moyens et de formation, injonctions contradictoires induites par d'incessants changements de programmes... la dégradation des conditions de travail provoque un mal-être croissant. "Pratiquer la "dispute professionnelle" est un moyen de reprendre la main, de recréer du collectif et d'agir sur la désorganisation du travail", estime Luce Desseaux, secrétaire nationale du SNUipp. Fin 2017 a ainsi été publié Le travail hors la classe des professeurs des écoles, fruit d'une recherche conduite dans le cadre du chantier travail par Frédéric Grimaud, membre de l'équipe ergonomie de l'activité des professionnels de l'éducation (Ergape) de l'université d'Aix-Marseille. L'ouvrage éclaire sous un nouveau jour la charge mentale des instituteurs.

 

Lutter contre le déni de la souffrance

Faire reculer le déni de la souffrance au travail requiert une implication à tous les niveaux. "En juin 2016, nous avons fait une interpellation en CHSCT ministériel à propos des élèves hautement perturbateurs, à partir des remontées des CHSCT départementaux et de témoignages de collègues agressés, raconte Luce Desseaux. Dès lors, conscient du problème, le ministère a élaboré un guide méthodologique sur la prise en charge de ces élèves, document que nous avons amendé en tenant compte des retours d'expérience faisant suite à des initiatives menées dans quelques départements." Il s'agit aussi de faire progresser la reconnaissance des maladies professionnelles et des accidents du travail. Mais si la culture de la santé au travail se transmet chez les militants, elle fait parfois défaut chez les employeurs : "La prévention primaire se résume à être prêts... pour la prévention tertiaire, en s'assurant que des cellules d'écoute sont mises en place ou que le risque incendie est maîtrisé", regrette Hervé Moreau.

Du côté des agents du ministère du Travail, Brigitte Sénèque, membre SNU Tefe du CHSCT ministériel, déplore que les réformes s'empilent sans que leur impact sur les conditions de travail et les risques professionnels soit étudié : "La réforme territoriale entraîne des conséquences douloureuses, avec les effets du management à distance et des mobilités forcées pour espérer un développement de carrière. Or des expertises demandées par le CHSCT ont été refusées." Le meurtre de deux agents en 2004, en Dordogne, a levé le tabou sur les difficultés que connaissent inspecteurs et agents de contrôle. Pour que ces derniers puissent protéger leur métier et leur santé, un groupe de travail a élaboré en 2010 des préconisations, en collaboration avec l'équipe d'Yves Clot.

Chez Pôle emploi, en réponse au baromètre social mis en place par la direction, le SNU PE a organisé un "contre-baromètre". Près de 18 000 agents ont été interrogés sur leur travail au printemps 2017. Leurs réponses traduisent un mal-être lié à l'impact des transformations organisationnelles, qu'il s'agisse de la dématérialisation de la gestion des droits des demandeurs d'emploi, du réaménagement des espaces de travail, ou encore des nouvelles méthodes de management"Ce ressenti, qu'on ne retrouve pas dans le baromètre de la direction, nous sert à construire des argumentaires pour peser dans les négociations sur la qualité de vie au travail", explique Delphine Cara, secrétaire générale du SNU PE. A partir de 2016, la coordination des élus CHSCT a été renforcée, avec une réunion trimestrielle pour traiter globalement des problèmes soulevés par les CHSCT régionaux. "L'an dernier, nous avons vu monter le sujet des violences internes au travail, relate Delphine Cara. L'éclatement des collectifs, la spécialisation des tâches et le manque de formation sur les valeurs communes du service public de l'emploi entraînent un accroissement des conflits interpersonnels. Nous avons édité la plaquette Prévenir la violence interne au travail, qui est une première réponse pour les élus."

 

Pour une véritable médecine de prévention

La FSU organise, pour les élus CHSCT de ses syndicats, des stages nationaux et transversaux sur la santé au travail. D'autres formations se déroulent régulièrement dans les départements, à la requête des militants de terrain. "Nous construisons le contenu de la journée en fonction de leur demande, avec l'appui d'ergonomes ou de psychologues du travail", précise Hervé Moreau.

Aujourd'hui, l'organisation syndicale entend faire bouger les lignes sur la médecine de prévention, parent pauvre de la fonction publique, avec un seul praticien pour 11 500 agents. "Les médecins sont parfois eux-mêmes en burn-out", observe Luce Desseaux. Une campagne réclamant "une véritable médecine de prévention" a été lancée en janvier, avec un tract fédéral de mobilisation et une pétition en ligne.

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    Loi entrée en vigueur le 1er novembre 2011 pour la fonction publique d'Etat et au printemps 2014 pour la fonction publique territoriale.

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    Equipe du Conservatoire national des arts et métiers.