Le gouvernement révise l'exposition à l'amiante

par Ivan du Roy / janvier 2012

Le ministère du Travail vient de renforcer la prévention du risque amiante pour les travailleurs, notamment en abaissant les seuils d'exposition. Une démarche qui n'a pas été déclinée au niveau des règles de prévention concernant la population générale.

Le ministre du Travail, Xavier Bertrand, a tenu à annoncer en personne, début novembre, une réglementation plus stricte sur l'amiante. Ce changement, prévu pour le premier semestre 2012, est rendu nécessaire par la prise en compte des fibres fines d'amiante (FFA) et des fibres courtes d'amiante (FCA) dans le cadre des expositions professionnelles. Jusqu'à présent, seules les fibres d'une longueur supérieure à 5 micromètres étaient mesurées et prises en compte.

Valeur limite d'exposition divisée par dix

Cette évolution fait suite au rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) rendu public en février 20091 . Après avoir analysé 500 articles scientifiques et diligenté six études, l'Afsset - désormais intégrée au sein de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) - alertait sur " l'existence d'un effet cancérogène avéré " pour les fibres fines. " Plus la fibre est longue et fine, plus elle est dangereuse. C'est indiscutable ", rappelle Guillaume Boulanger, l'auteur du rapport. Quant aux fibres courtes, " on ne peut exclure leur toxicité ". D'autant qu'elles sont présentes à des concentrations très importantes dans les nuages de poussières d'amiante.

Suite à ce rapport, l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et la direction générale du Travail (DGT) ont mené en 2010 une campagne de mesures des poussières d'amiante sur 77 chantiers, en lien avec les employeurs concernés - le Syndicat du retrait et du traitement de l'amiante - et sous la surveillance d'un inspecteur du travail. Cette campagne avait notamment pour objectif de tester en milieu professionnel la technique d'analyse par microscopie électronique à transmission analytique (META). La microscopie optique, jusque-là utilisée, ne permet pas de mesurer les fibres d'amiante inférieures à 5 micromètres. Les fibres fines et les fibres courtes passaient donc inaperçues, alors qu'elles constituent en moyenne 85 % des poussières d'amiante émises sur un chantier, selon l'INRS (17 % de FFA et 68 % de FCA). " Un niveau de fibres extrêmement alarmant, pour lequel même les protections actuelles sont inefficaces ", observe un des experts qui a suivi ces mesures.

Le ministère du Travail a donc pris en considération tous ces éléments. La valeur limite d'exposition professionnelle sera abaissée, passant de 100 à 10 fibres par litre. Et les analyses porteront désormais sur l'ensemble des fibres, grâce à la généralisation de la méthode META, une première au niveau international. La différence entre matériaux friables et non friables sera également supprimée dans le Code du travail. " D'après notre analyse des données, il n'y a aucun sens à maintenir cette distinction : des matériaux non friables, comme l'amiante ciment ou les dalles vinyle amiante, émettent beaucoup de fibres ", commente Guillaume Boulanger.

" C'est un progrès considérable, réagit Michel Parigot, vice-président de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva). Mais compter les fibres fines et courtes aurait dû être fait depuis longtemps, de même que l'abaissement des valeurs limites, car la présence majoritaire de fibres courtes était bien connue. " D'autant que, d'une part, la technique META existe depuis déjà un certain temps et que, d'autre part, le Conseil d'Etat avait, en mars 2004, reconnu la faute de l'Etat " en matière de prévention des risques liés à l'exposition professionnelle aux poussières d'amiante ". La nouvelle valeur limite d'exposition sera appliquée " à une échéance de trois ans ", précise le ministère. Un délai qui n'est " absolument pas raisonnable ", estime l'Andeva, qui aurait préféré une application immédiate, tout en laissant des possibilités de dérogation en raison de difficultés techniques. L'INRS est d'ailleurs chargé de réévaluer l'efficacité des équipements de protection, masques ou combinaisons.

Dérogation illimitée pour les propriétaires

Si cette évolution annoncée de la réglementation professionnelle constitue une réelle avancée, il n'en est pas de même pour le décret " amiante " présenté début juin 2011 par le ministère de la Santé - également sous la responsabilité de Xavier Bertrand. Le nouveau texte ignore les recommandations de l'Afsset. Le seuil réglementaire pour l'environnement général, et donc l'exposition de la population, n'est pas abaissé : il demeure à 5 fibres par litre, alors que la logique appliquée dans le cas des expositions professionnelles voudrait qu'il soit divisé par dix (à 0,47 fibre par litre selon l'Afsset). En outre, aucun seuil pour les fibres fines et courtes n'est fixé, en totale contradiction avec les données recueillies depuis deux ans.

Trois questions à...Xavier Bertrand, ministre du Travail
Ivan du Roy

Pourquoi laisser un délai de trois ans avant l'entrée en vigueur de la nouvelle valeur limite d'exposition professionnelle ?

Xavier Bertrand : La période transitoire de trois ans doit permettre aux entreprises d'améliorer leur évaluation des risques et leurs techniques de prévention. Aux fabricants d'apporter les améliorations nécessaires aux matériels de protection. Ce délai doit permettre aussi aux organismes chargés des prélèvements d'air de s'approprier la méthode par microscopie électronique, que la France sera la première à rendre obligatoire en milieu professionnel.

Pourquoi le décret du 3 juin dernier n'a-t-il pas inscrit la même baisse dans le Code de la santé publique ?

X. B. : Dans l'environnement général, la définition d'une nouvelle valeur du seuil d'exposition mérite une expertise approfondie, car son abaissement aura un impact économique et sanitaire qu'on ne peut pas négliger. Le ministère de la Santé a saisi le Haut Conseil de la santé publique sur la question des modalités d'un abaissement de ce seuil. Il rendra son avis en plusieurs étapes, avant de proposer une nouvelle valeur seuil.

Les nouvelles dérogations accordées aux propriétaires ne sont-elles pas une incitation à ne rien faire ?

X. B. : Je ne le pense pas. Nous sommes très vigilants quant à l'application de ce décret, qui ne concerne que certaines catégories de bâtiments. Ce texte répond à des situations complexes pour lesquelles les travaux de retrait d'amiante ou de confinement ne peuvent être achevés dans les délais définis par la loi. Les conditions pour bénéficier d'une prorogation seront strictement encadrées et nous avons mis en place avec les préfets des modalités de suivi et de contrôle pour assurer un niveau de prévention maximal.

Au prétexte d'améliorer la lisibilité des textes concernant la gestion des risques de l'amiante dans le Code de la santé publique, ce décret marque également un recul sur un point. Il reconduit le système de dérogations accordées, en cas d'obligation de travaux, aux propriétaires d'immeuble de grande hauteur ou d'établissement recevant du public. La durée de ces exemptions est laissée à la discrétion des préfets. Depuis 2001, ces propriétaires bénéficiaient d'un délai de trois ans pour achever les travaux obligatoires, puis d'une dérogation de trois ans reconductible une fois. Neuf ans plus tard, " ce décret les remet dans la légalité, déplore Michel Parigot. Au lieu de sanctionner les propriétaires délinquants, on leur octroie la possibilité de bénéficier d'une dérogation sans limite de durée. " Des hôpitaux, des bibliothèques, des écoles ou des bureaux sont concernés. Cette disposition a été prise malgré un avis " défavorable " du Haut Conseil de la santé publique. L'Andeva ainsi que l'association antiamiante Ban Abestos, en lien avec Droit au logement, ont chacune déposé un recours auprès du Conseil d'Etat pour contester le décret.

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    Voir " On n'en a pas terminé avec l'amiante ", Santé & Travail n° 66, avril 2009.