La grande distribution se distingue au rayon pénibilité

par Elsa Fayner / 27 mai 2011

Les salariés de la grande distribution sont exposés à de multiples contraintes, avec des différences notables entre hyper- et supermarchés. C'est ce qui ressort d'une étude publiée récemment par l'observatoire des conditions de travail Evrest.

« Les salariés de la grande distribution, comme l'ensemble des employés de commerce, portent souvent une appréciation assez négative sur leur travail. » C'est ce que constate Anne-Françoise Molinié, coauteure avec Ariane Leroyer d'une synthèse intitulée Travail et santé des salariés de la grande distribution, publiée en mars dernier par l'observatoire Evrest (pour « Evolutions et relations en santé au travail »), sur la base d'un rapport réalisé par la Dre Brigitte Jeancolas.

L'observatoire Evrest associe des médecins du travail et des chercheurs dans le but d'analyser et suivre différents aspects du travail et de la santé de salariés. Les médecins du travail s'engagent à interroger un certain nombre de patients en visite ; les données agrégées viennent enrichir une base nationale. Ce qui permet un état des lieux général, mais également une exploitation par métiers. Ainsi, parmi les 22.928 salariés vus en visite en 2008 ou 2009 par les médecins du travail participant à l'observatoire, plus de 1.000 travaillaient dans le secteur de la grande distribution. Et, pour eux, le constat est alarmant, établissent les auteures de la synthèse.

Horaires décalés

Ces salariés cumulent effectivement plusieurs contraintes. Près de la moitié d'entre eux sont confrontés à des horaires irréguliers ou décalés. Une proportion nettement plus importante que dans le reste de l'échantillon Evrest, où un quart des salariés seulement est concerné. Aux contraintes horaires s'ajoute un manque de marges de manœuvre. « Ils estiment plus souvent qu'ils n'ont pas le choix de la façon de procéder, que leur travail ne leur permet pas d'apprendre, qu'il n'est pas varié », explique Anne-Françoise Molinié. Les contraintes physiques sont elles aussi fréquentes : efforts et port de charges lourdes, gestes répétitifs, postures contraignantes...

Ces contraintes ne se répartissent pas uniformément selon le type d'entreprise. Les salariés de la grande distribution travaillent pour 300.000 en hypermarché et pour 210.000 en supermarché. Les premiers sont davantage exposés au travail de nuit, à des gênes sonores ou des contraintes visuelles. Les seconds ont plus souvent des coupures de plus de 2 heures dans la journée, sont plus exposés au travail dans le froid et aux contraintes physiques.

Enfin, les femmes et les hommes ne sont pas logés à la même enseigne. Environ six salariés sur dix dans la grande distribution sont des femmes. Elles sont particulièrement concernées par le travail à temps partiel : 44 % d'entre elles, contre 10 % environ des hommes. Dans le secteur, seul un salarié sur dix est cadre ou agent de maîtrise. Mais 90 % des caissiers interrogés par l'observatoire Evrest sont des femmes. Et cette profession est plus que les autres exposée au temps partiel (66 %), aux horaires irréguliers (75 %) et aux coupures de plus de 2 heures dans la journée (30 %).

Le cap des 45 ans

Quelles sont les conséquences de ces contraintes sur la santé ? Le rôle d'Evrest n'est pas d'établir des liens de causalité entre les conditions de travail observées et l'état de santé des salariés. Mais de constater. Et, du côté de la santé, un constat surprend.

A partir de 45 ans, les salariés des supermarchés signalent plus souvent des problèmes de santé, souvent handicapants, que ceux travaillant en hypermarché, voire dans le commerce. Il s'agit notamment de douleurs articulaires. Pourtant, avant 45 ans, la fréquence de la plupart des problèmes de santé est à peu près la même dans les deux populations et voisine de ce qu'on constate au même âge dans l'ensemble de l'échantillon Evrest.

Comment expliquer cette différenciation ? « Nous ne pouvons que formuler des hypothèses, entre lesquelles la statistique seule ne permet pas de trancher, répond Anne-Françoise Molinié. Une hypothèse serait celle d'une sélection - explicite ou non - plus grande dans les hypermarchés, qui conduirait au départ de salariés qui connaissent des difficultés liées à leur santé. On peut aussi noter que les cadres sont plus nombreux en hypermarché, ce qui les met à l'abri. On peut enfin penser que, les hypermarchés étant plus grands, ils permettent plus de possibilités, quand les salariés ont des problèmes de santé, pour pouvoir continuer à travailler. »

Et la coauteure de la synthèse de préciser : « Il ne suffit pas de se demander quelles conditions de travail suscitent des troubles, mais également quelles conditions de travail ne révèlent pas certains problèmes de santé, ou les tolèrent. » Une question de taille dans un contexte de vieillissement des salariés.