Des grévistes de PSA témoignent de leurs conditions de travail

par Clotilde de Gastines / 05 juin 2013

Après avoir interrompu les 5es Rencontres de Santé & Travail, le 10 avril dernier, des grévistes du site PSA d’Aulnay-sous-Bois ont témoigné de leurs conditions de travail auprès des participants restés dans la salle. Récit.

Le 10 avril dernier, à Paris, 200 personnes avaient répondu à l’invitation de Santé & Travail pour ses 5es Rencontres, sur le thème : « Avec la crise, peut-on encore sauver les conditions de travail ? » Après une première table ronde sur l’avenir des CHSCT, les participants – élus CHSCT, experts en santé au travail, responsables syndicaux, préventeurs – s’apprêtaient à aborder le deuxième débat : « Compétitivité ; et si on misait sur la qualité du travail ? » C’était sans compter sur l’irruption d’une centaine de salariés grévistes de l’usine automobile PSA d’Aulnay-sous-Bois, venus interpeller le ministre du Travail, Michel Sapin, dont la venue était annoncée mais finalement absent.

A l’heure de la pause, un flot de carrures masculines, parsemé de quelques silhouettes de femmes, investissait l’amphithéâtre de la Macif, en scandant des slogans durement affûtés. A leur tête, Jean-Pierre Mercier, délégué CGT de l'usine et porte-parole des grévistes. Voix éraillées, visages déterminés, les grévistes se disséminent dans la salle. Un groupe monte sur l’estrade, et brandit une banderolle fatiguée : « Non à la fermeture de PSA Aulnay. »

« Au bout d’une dizaine d’années, on est foutus ! »

En l’absence de Michel Sapin, les grévistes demandent au directeur général du Travail, Jean-Denis Combrexelle, présent dans la salle, de transmettre leur message. S’ensuit un temps de latence. Certains participants sont ravis de voir les PSA « en vrai », d’autres s’en vont. La question de la santé au travail, à l’ordre du jour de la demi-journée, fait réagir les manifestants : « La santé parlons-en ! Qui a eu des problèmes de santé au travail ? », lance un gréviste d’une voix forte. Une trentaine de personnes lèvent la main et agitent leur carte Cotorep. Les remarques fusent. « Au bout d’une dizaine d’années, on est foutus ! » « Qui va embaucher un travailleur handicapé ? » « La santé pour la garder, il faut partager le travail ! » 

La température monte dans l’auditorium. Un débat s’engage sur les conditions de travail à l’usine PSA d’Aulnay. « Les maladies professionnelles les plus fréquentes sont les troubles musculo-squelettiques (TMS), explique Jean-Pierre Mercier. Le nombre d’accidents du travail est stable, mais leur taux de gravité est en augmentation et les TMS ont explosé depuis la mise en place du lean manufacturing et l’augmentation des cadences. Avant, les temps de repos permettaient aux tendons de récupérer pendant quelques micro-secondes. »

En apparté, plusieurs grévistes témoignent de leur usure professionnelle. Un trentenaire souffle : « Au montage, les conditions de travail sont difficiles. » Après dix-sept ans de maison, une hernie discale, deux disques abîmés, il est Cotorep. Au ferrage, Soumare Souleymane s’estime heureux : « Je n’ai pas de problème de santé. En treize ans, mes conditions de travail n’ont pas changé. » Entré comme opérateur de ligne, il a travaillé dix ans de nuit. Il a vu la suppression des équipes de week-end, de nuit, de l’après-midi. A la peinture, personne ne veut témoigner.

Face à ces constats, Dominique Démaret, responsable formation présent dans la salle, interroge les manifestants : « Que font les syndicats, les ergonomes, les CHSCT ? » Question difficile vu l’ampleur du conflit social et des divisions syndicales. Les grévistes évoquent l’expertise sur le stress généré par le projet de fermeture et de reclassement, lancée par le CHSCT du site d’Aulnay en décembre 2012. Suite au déclenchement de la grève, le 16 janvier 2013, la direction de PSA aurait fait pression sur le CHSCT, pourqu’il enterre l’expertise, ce que le SIA, syndicat maison, a voté début avril. Les grévistes ont dénoncé cette annulation, sans succès.

Haro sur les accords compétitivité

Les grévistes préfèrent mettre l’accent sur les effets prévisibles des futurs accords compétitivité concernant les conditions de travail sur les autres sites de PSA. Les mots sont très durs à l’égard de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la sécurisation de l’emploi et de la loi censée le transposer. « La compétitivité, c’est nous faire travailler plus avec des salaires et des conditions de travail au rabais », assure Jean-Pierre Mercier. D’après le délégué syndical, PSA envisagerait une nouvelle organisation du travail sur le site de Poissy : une journée de 8 h 30, contre 7 heures aujourd’hui, avec une pause-déjeuner de 30 minutes et pas d’heure supplémentaire. Le tout sur un rythme différent : quatre jours de travail en alternance avec trois jours de repos. Le syndicat maison se serait prononcé pour. En cas de reclassement là-bas, les salariés d’Aulnay devront s’y plier.

Dans la salle, les participants sont moins catégoriques sur les effets de l’ANI. Marie-Pascale Duvernois, responsable syndicale Unsa, craint qu’il « réduise le rôle du comité d’entreprise et du CHSCT, que le plan de sauvegarde de l’emploi devienne une loterie ». Mais elle reconnaît qu’il y a des avancées sur la formation et les complémentaires santé. Le débat dévie ensuite sur la dimension politico-financière du conflit social. « Je n’arrête pas de demander mon reclassement à la Barbade, ironise Philippe Julien, secrétaire du syndicat CGT du site d’Aulnay. Je leur demande ce que les filiales de PSA fabriquent dans ce paradis fiscal et quelles sont les conditions de travail ! » Un peu avant 18 heures, dans des rangs clairsemés, les participants applaudissent les grévistes et leur souhaitent beaucoup de courage.