© Christine Tamalet/Single Man
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« Il nous faut une agriculture sans poison »

entretien avec Frédéric Tellier, scénariste et réalisateur pour le cinéma de "Goliath", "Sauver ou périr" et "L’Affaire SK1".
par Corinne Renou-Nativel / avril 2022

Goliath, votre dernier film, dénonce les risques liés aux pesticides et le lobbying mis en œuvre pour les masquer. Comment en êtes-vous venu à traiter ce sujet ?
Frédéric Tellier : L’idée est venue il y a huit ou neuf ans de lectures d’articles et de livres, dont Le Livre noir de l’agriculture d’Isabelle Saporta, qui établit un état des lieux du secteur. Petits-fils de vignerons, j’avais une sensibilité à la terre, mais sans plus. Je suis passé de l’ignorance, par exemple sur les quotas agricoles et les quantités de pesticides utilisées, à la connaissance des moyens utilisés pour arriver à des rendements qui ne sont pas légitimés par des besoins et qui suscitent de la casse humaine – maladies chroniques et cancers…

Le film s’ouvre sur la demande de reconnaissance en maladie professionnelle du cancer d’une agricultrice…
F. T. :
L’aide aux victimes est un vrai sujet. Je voulais parler de ce qui conduit les victimes à le devenir et comment elles le vivent. Plus que les pesticides en soi, ce qui m’intrigue, c’est la partie immergée de l’iceberg, c’est-à-dire la destruction de l’homme par l’homme, le cynisme et l’ultralibéralisme. J’avais envie de montrer immédiatement la conséquence la plus désastreuse : la maladie et la mort. En tant que cinéaste, je travaille sur des dossiers très précis avec des données vérifiées et sourcées. Mon enquête a duré plusieurs années, mais je ne suis pas un spécialiste. A partir d’éléments factuels, mon film est le miroir de ce que j’ai ressenti.

Le pesticide dont il est question dans le récit n’existe pas. Pourquoi pas le glyphosate ?
F. T. : Inventer le nom d’une molécule m’a permis d’élargir le propos. Je ne voulais pas raconter les procès que Paul François et Dewayne Johnson ont intentés à Monsanto, mais parler de manière plus systémique du sujet. Il y a le glyphosate, mais aussi le PFOA, le PCA, le PCB… Si j’avais choisi d’évoquer un pesticide, cela aurait été certainement le chlordécone, un poison qui a ravagé les Antilles françaises.

Goliath évoque les obstacles au classement de produits comme cancérogènes, la disqualification des études scientifiques, etc. Quel est votre message ?
F. T. : J’avais envie d’éveiller les consciences sur les aspects tentaculaires de la question des pesticides. Selon l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale, NDLR], en 2050, un Européen sur trois sera concerné par un cancer environnemental ou professionnel. L’argument d’absence d’alternative aux pesticides ne fait pas le poids face à la nécessité de redonner la priorité à la protection de la vie et du vivant, sacrifiés pour du rendement. Il ne nous faut pas une agriculture raisonnée, mais une agriculture sans pesticides, sans poison. Mon film parle de la raréfaction du bon sens et de la nécessité de remettre un peu de discernement dans ce débat autour d’un scandale majeur de santé publique.

A voir
  • Goliath, en salles depuis le 9 mars, avec Gilles Lellouche, Pierre Niney et Emmanuelle Bercot. 2 heures 02.