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« Il s’agit de retrouver la dimension humaine du travail »

entretien avec Catherine Delgoulet professeure titulaire de la chaire d’ergonomie du Conservatoire national des arts et métiers
par Joëlle Maraschin / juillet 2020

En quoi la reprise en main du travail observée dans certains secteurs constitue-t-elle un facteur de santé ? 
Catherine Delgoulet1 :
Avoir ou reprendre la main sur ce qui nous arrive est un opérateur très fort de santé au sens large, non pas en termes d’absence de maladie mais plutôt de construction de soi en tant que personne actrice de son devenir. Il s’agit de retrouver les dimensions humaines du travail, mises à mal par la standardisation massive des process de production et des opérations, le pilotage par les chiffres ou encore par la généralisation des « bonnes pratiques ». Ce phénomène s’est manifesté notamment dans les métiers du soin mais aussi dans d’autres secteurs. Les salariés du secteur bancaire, par exemple, ont pu déployer leur activité de conseil auprès des petites et moyennes entreprises, fragilisées par la situation. Dégagé des objectifs de placement de produits, leur travail a retrouvé du sens. Il faut cependant être prudent d’une part sur la pérennisation de cette reprise en main et d’autre part sur son coût humain. Cette reprise en main s’est faite dans des conditions fortement dégradées en termes de ressources matérielles ou humaines, aux dépens d’autres dimensions du travail ou de la vie privée des salariés. Elle n’a été possible que grâce à un engagement très fort des personnes. Je ne suis pas sûre que cela soit tenable dans la durée. 

Les prescriptions descendantes pour limiter les risques d’infection par le Covid-19 ne risquent-elles de limiter ces marges de manoeuvre regagnées ? 
C. D. :
S’il n’est bien sûr pas question de contester la nécessité des gestes barrières, les approches hygiénistes peuvent être préoccupantes dès lors qu’elles ne prennent pas en compte les réalités de l’activité. Ces prescriptions très génériques oublient les spécificités de certaines situations de travail et ignorent les aléas. Le déploiement de ces règles doit alors être construit collectivement, avec les acteurs de la santé au travail, préventeurs, médecins du travail, mais aussi les salariés, encadrants et opérationnels : c’est une démarche nécessaire pour soutenir la reprise en main du travail dans le respect des règles partagées. 

Comment coconstruire une transformation durable du travail ? 
C. D. :
Cette crise a été l’occasion de connaître de nouvelles formes de travail, à la fois individuellement et collectivement. C’est en partant de ce socle d’expériences, des descriptions fines de ce que chacun a vécu dans son activité, qu’il sera possible d’identifier ce qui relève de l’essentiel – ce à quoi on tient – et, au contraire, ce qui a mis en difficulté les salariés ou l’organisation. Mener des enquêtes autour de la singularité de ces expériences signifiantes, positives ou révélatrices de problèmes, permettrait de tirer des enseignements pour repenser le travail.  

  • 1Professeure titulaire de la chaire d’ergonomie du Conservatoire national des arts et métiers.