Imprimerie : pénibilité au quotidien pour les rotativistes

par Camille Charles / avril 2009

Près de trente ans après une enquête, restée célèbre, sur la mortalité des rotativistes, une nouvelle étude menée par le cabinet Emergences, à la demande des partenaires sociaux de la presse parisienne, confirme la pénibilité du métier malgré sa modernisation.

Malgré les améliorations apportées à l'outil de production et à l'environnement de travail au sein des imprimeries, les rotativistes restent exposés à un certain nombre de contraintes et de nuisances qui ont des effets nocifs sur la santé et, à long terme, selon toute probabilité, sur l'espérance de vie." Telle est la conclusion du rapport rédigé par le cabinet d'expertise Emergences sur les facteurs de pénibilité du travail des imprimeurs rotativistes, commandé conjointement par le Syndicat patronal de la presse quotidienne nationale (SPQN) et le Syndicat des imprimeries parisiennes SIP-CGT. Le but de cette initiative était d'estimer de manière objective la pénibilité du travail des rotativistes, comme le prévoyait la loi Fillon de 2003 sur la réforme des retraites. "On n'entend plus parler de préretraite, sauf pour les métiers les plus pénibles. Donc nous voulions savoir ce qu'il en était de la pénibilité chez nous", justifie Jean-Pierre Guérin, directeur des affaires sociales et techniques du SPQN.

"Les conditions de travail des rotativistes connaissent une amélioration sur certains points, mais une détérioration sur d'autres", résume Catherine Teiger. Cette chercheuse en ergonomie avait participé dans les années 1980, à l'époque des imprimeries au plomb, à une étude sur les conditions de travail, l'état de santé et la mortalité au sein de cette corporation. Près de trente ans après, elle a "rempilé" avec Emergences. Le secteur s'est modernisé et la presse quotidienne nationale ne compte plus que cinq imprimeries en région parisienne, passées à l'offset.

 

"Astreinte permanente"

 

Avec l'informatisation, la création de cabines de conduite des rotatives a permis de réduire les expositions au bruit, aux vibrations et aux produits toxiques, mais elle s'est aussi accompagnée d'une concentration des titres par site et d'une intensification de la production. "La pression temporelle s'accentue, les incidents se multiplient et les rotativistes, quasiment privés de marges de manoeuvre, doivent souvent intervenir sur les machines en mouvement ou encore chaudes", signale Catherine Teiger. "Ces salariés connaissent une pression permanente aggravée par l'enchaînement des tirages de plusieurs journaux, avec des changements de bobines de papier, de nouveaux réglages...", renchérit Annabelle Chassagnieux, qui a piloté l'étude pour Emergences.

Jean-Pierre Guérin, qui est aussi ancien directeur d'imprimerie, veut bien reconnaître la "spécificité" des rythmes de travail, mais, argumente-t-il, "les rotativistes bénéficient de temps de repos et de congés annuels au-delà du droit du travail, précisément pour atténuer l'impact des nuisances professionnelles". "La sortie d'un quotidien est une activité particulière, estime de son côté Pascal Auguste, secrétaire SIP-CGT du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du Monde Imprimerie. Elle entraîne une forme d'astreinte permanente du personnel et un besoin d'effectifs fluctuant au jour le jour. D'où des horaires qui varient d'un jour sur l'autre, des journées de repos non consécutives, du travail le week-end et les jours fériés. Les semaines de congé obtenues en contrepartie sont les seuls moments de l'année qui permettent une vie personnelle normale." Selon son homologue de Roissy Print, Gérard Kévorian, "pour absorber les modernisations et tenir compte de leur santé, il faudrait pouvoir faire partir les ouvriers avant la soixantaine"

 

Risques combinés

 

Alors que les pouvoirs publics incitent à travailler jusqu'à 65 ou 70 ans, comment obtenir une retraite anticipée pour les rotativistes ? Le rapport d'Emergences apporte plusieurs arguments. Ces travailleurs subissent une pénibilité plurifactorielle qui provoque de multiples troubles de la santé et de la vie familiale et sociale. "Aucun métier ne connaît autant de risques combinés", constate Catherine Teiger. De fait, bruit, horaires de travail, contraintes posturales et articulaires, manutention de charges et exposition aux produits chimiques arrivent en tête dans le classement des facteurs de pénibilité établi grâce au questionnaire de l'enquête d'Emergences ainsi qu'aux entretiens menés avec des actifs et des retraités. Ils sont suivis par les expositions aux poussières de papier et aux vibrations des machines et par la pression temporelle. "Le travail demande une activité mentale intense à certains moments critiques, comme l'ont montré les analyses ergonomiques de l'activité des rotativistes menées sur trois sites d'imprimerie de presse", précise Catherine Teiger.

 

Augmentation de la pénétration des toxiques

 

Le rapport d'Emergences évalue aussi les conséquences ressenties sur la santé : troubles ostéoarticulaires et musculaires, troubles du sommeil, troubles digestifs, respiratoires et cardiovasculaires, allergies et irritations cutanées, perturbations de la vie familiale et sociale. L'étude statistique réalisée à partir des données de la caisse de retraite des salariés de la presse (Audiens) complète le tableau : comparés aux ouvriers d'autres métiers de la presse, les imprimeurs rotativistes ont près de deux fois plus d'accidents de travail entraînant des arrêts maladie. En revanche, faute d'une cohorte suffisante, ce volet statistique n'a pas permis d'évaluer une surmortalité précoce des rotativistes, ni de connaître les causes de décès. Pour cela, Annabelle Chassagnieux juge qu'une étude complémentaire serait nécessaire.

Enfin, le dernier volet de l'intervention d'Emergences a consisté en des analyses ergotoxicologiques effectuées par une équipe de l'université de Bordeaux. Des concentrations de solvants connus comme cancérigènes ont été mesurées, notamment lors des phases de nettoyage, de même que les composés organiques volatils et les expositions aux poussières de papier. Produit par produit, les concentrations restent en dessous des valeurs limites d'exposition. Mais, fait remarquer Alain Garrigou, ergonome qui a conduit les mesures, "les rotativistes sont exposés à un ensemble de facteurs de risque qui ne s'ajoutent pas seulement : ils se potentialisent. Dans ces conditions, des atteintes à la santé peuvent se produire, d'autant que le travail de nuit fragilise l'organisme vis-à-vis des agressions toxiques". De plus, chez les conducteurs rotativistes, des fréquences cardiaques très élevées ont été mesurées, liées au stress du démarrage du tirage ou à l'occasion d'incidents à rattraper. Cela correspond à des niveaux d'intensité de travail physique lourds à très lourds. Ce qui augmente de façon importante la pénétration des toxiques dans l'organisme.

Outre la reconnaissance de la pénibilité actuelle du travail des imprimeurs rotativistes, le rapport indique des pistes pour une meilleure prévention des risques. Il suggère de réduire ceux-ci à la source en intervenant sur la conception du matériel et des installations, avec la participation des CHSCT. Il recommande aussi d'améliorer la maintenance préventive pour réduire les incidents, de réfléchir à l'évolution de l'organisation du travail en agissant sur l'organisation de la production, les horaires de travail, les contraintes de temps et la polyaptitude.