Marcel Goldberg : "Infarctus, le rôle du stress au travail est occulté"

entretien avec Marcel Goldberg, épidémiologiste à l'Inserm
par François Desriaux / janvier 2013

Epidémiologiste à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Marcel Goldberg est coauteur d'une étude européenne confirmant le rôle du stress au travail dans le risque d'infarctus. Pour lui, renforcer la prévention est nécessaire.

Vous avez cosigné un article paru dans la revue médicale britannique The Lancet, confirmant le risque accru de survenue d'un infarctus pour les salariés exposés au stress au travail. Le risque étant déjà connu, qu'apporte cette recherche ?

Marcel Goldberg : Il n'est pas tout à fait exact de dire que le risque d'infarctus associé au stress au travail était connu. Il était fortement soupçonné, mais l'état des connaissances ne correspondait pas bien aux critères épidémiologiques habituels pour reconnaître l'existence d'une relation de causalité. Ainsi, les résultats des diverses études n'étaient pas concordants.

La force et la nouveauté de notre étude [voir Sur le Net, NDLR] résident dans le fait qu'un consortium de chercheurs a réuni des données individuelles sur un très grand nombre de sujets - environ 200 000, ce qui est supérieur à toutes les publications jusqu'ici. Ces données portent sur l'exposition au stress et aux autres facteurs de risque d'infarctus (tabac, alcool, manque d'exercice, etc.), ainsi que sur la survenue ou non d'un infarctus. Un autre aspect important est que les 13 cohortes constituées dans 7 pays européens concernent des populations de travailleurs très diversifiées.

Ce qui est particulièrement convaincant, c'est que, à niveau égal d'exposition au stress et aux autres facteurs de risque, on retrouve une augmentation du risque comparable dans toutes les cohortes, et cela quels que soient le pays, l'âge, le sexe ou la catégorie professionnelle. Jusqu'à présent, les études ne concernaient que des populations restreintes et ne permettaient pas de vérifier tous ces points, essentiels pour parler de relation causale.

L'étude du Lancet relativise le rôle du stress par rapport à celui des facteurs de risque classiques comme le tabac. Or le communiqué de l'Inserm portant sur l'étude préconise en conclusion de renforcer la prévention du stress au travail. Comment expliquer ce décalage ?

M. G. : Les faits sont les faits, mais leur interprétation et les conclusions qu'on peut en tirer dépendent beaucoup de qui parle ! Il est vrai que le tabac ou l'obésité sont à l'origine d'un plus grand nombre d'infarctus que le stress au travail. Le comité de rédaction du Lancet a souhaité insister sur le rôle de ces facteurs déjà connus. De notre côté, il nous a semblé qu'il était important de mettre l'accent sur le stress au travail. Il joue finalement un rôle non négligeable, mais il n'est pas assez pris en compte dans les politiques de santé publique et de santé au travail et se trouve de fait largement occulté, notamment dans le monde médical. De plus, des mesures préventives vis-à-vis du stress au travail devraient avoir un impact positif sur des facteurs de risque tels que le tabac et l'alcool, dont la consommation est partiellement liée au stress, selon des études récentes réalisées par notre consortium.

Dans les études connues, le poids des facteurs professionnels n'était-il pas plus important ?

M. G. : Ce phénomène s'explique par ce que nous appelons le "biais de publication" : recevant nombre de propositions d'articles, les revues privilégient évidemment les études "positives", celles montrant une association entre une exposition et une maladie. Notre recherche, quant à elle, a pris en compte plusieurs cohortes où le risque d'infarctus en relation avec le stress au travail n'avait pas encore été étudié. Le risque calculé pour toutes les cohortes est la moyenne de résultats qui n'étaient pas tous identiques. Il était donc attendu que ce résultat global soit moins élevé que celui observé dans certaines cohortes où le risque est particulièrement fort.

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