"Je vois beaucoup de gens livrés à eux-mêmes"

entretien avec Gil Soetemondt
par Clotilde de Gastines / juillet 2016

L'hôtellerie a-t-elle été un laboratoire de précarisation des salariés ?

Gil Soetemondt : Oui, par la mise en place de contrats d'extras, sans véritable motif, et le passage d'activités à la sous-traitance. Mais, surtout, via les temps partiels subis, comme dans la grande distribution ou la sécurité. Mes impressions d'audience m'incitent aussi à penser que les appels d'offres sont un autre levier. Celui qui paie attend une prestation de même niveau, mais moins chère. Il a tendance à ne pas reconduire les marchés pour faire jouer la concurrence. Le sous-traitant l'emporte en promettant soit un moins-disant, soit un mieux-disant mais avec une réduction du nombre d'employés sur site.

Que voyez-vous comme type de marginalisation ?

G. S. : Je vois beaucoup de gens livrés à eux-mêmes, qui font de la "lévitation transcendantale" avec le droit du travail. Cet isolement peut avoir plusieurs raisons. Dans le cas des métiers de la propreté, les personnes ont parfois une maîtrise aléatoire du français. On constate également une forte parcellisation des chantiers, avec le cas extrême du laveur de vitres qui intervient sur une cinquantaine de boutiques. D'anciens salariés se mettent à leur compte pour des activités qui ne rapportent plus rien aux grandes sociétés, comme de sortir et rentrer les poubelles.

Enfin, cet isolement est aggravé par la non-connaissance du droit du travail et du fonctionnement de la justice. Les employeurs utilisent des failles dans tout ce qui a trait à l'applicabilité de la clause de mobilité, l'annexe 7 de la convention collective de la propreté. Sa vocation initiale était de garantir l'emploi en cas de faillite ou de reprise du chantier, tout en conservant l'ancienneté du salarié. Mais si l'ancien employeur ne met pas tous les documents à disposition du nouveau, notamment en cas d'arrêt maladie, le salarié n'est pas repris, ou n'est payé ni par l'ancien ni par le nouvel employeur.

Dans quelle mesure les prud'hommes peuvent-ils créer du droit positif ?

G. S. : Les prud'hommes ne peuvent rien, ou alors très - trop - peu. Dans le meilleur des cas, on fait du rétablissement des droits, au pire, une réparation a minima. Pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est difficile d'obtenir des indemnités dépassant six mois de salaire et on propose souvent 1 euro symbolique de dommages et intérêts. Aujourd'hui, les conseillers prud'homaux ne sont plus des juges au-dessus de toute critique. Certains méconnaissent les textes et le droit applicables.