Chantier du village olympique © Arnaud Paillard/AdobeStock
Chantier du village olympique © Arnaud Paillard/AdobeStock

JO 2024 : « Des résultats positifs pour la sécurité des travailleurs »

entretien avec Bernard Thibault, coprésident du Comité de suivi de la charte sociale des Jeux olympiques de Paris 2024
par Corinne Renou-Nativel / 04 avril 2024

Pour l’ex-secrétaire général de la CGT Bernard Thibault, la charte sociale élaborée pour les Jeux olympiques de Paris a permis d’améliorer les conditions de travail sur les chantiers de construction. Un bilan retranscrit dans son dernier livre.

La charte sociale adoptée pour les Jeux olympiques de Paris est une première. Quelles sont ses spécificités en matière de santé et sécurité au travail ?
Bernard Thibault : Beaucoup de pays organisateurs des Jeux olympiques se sont montrés peu soucieux des conditions sociales dans lesquelles les travailleurs préparent cet évènement. Avec le comité de candidature, les cinq confédérations syndicales françaises ont suggéré que Paris 2024 intègre des préoccupations sociales et de travail, notamment pour la construction des infrastructures. L’un des seize engagements de la charte sociale concerne la santé et la sécurité au travail. La Solideo [Société de livraison des ouvrages olympiques], l’établissement public chargé de superviser l’ensemble des travaux, a repris cet objectif : la sécurité et la lutte contre le travail illégal sont deux priorités incontournables pour toutes les entreprises intervenantes.

Comment cela s’est-il traduit concrètement sur les chantiers ?
B. T. : Des visites ont été organisées avec les représentants du personnel, représentants dont le rôle d’intervention a été reconnu pour la conduite des chantiers, leur organisation et la mise en place des mesures de sécurité. Des réunions de coordination interentreprises ont visé à responsabiliser les maîtres d’ouvrage pour prévenir la dilution des responsabilités entre entreprises majors et sous-traitantes. Une journée « accueil sécurité » a été organisée pour chaque nouveau salarié entrant sur un chantier olympique, afin d’expliquer l’environnement de travail et les règles à respecter.
Parallèlement, la présence des inspecteurs du travail sur les chantiers a été renforcée par les pouvoirs publics, avec en moyenne un contrôle par jour sur l’un des chantiers olympiques. Ce qui est largement supérieur au nombre d’inspections conduites dans le secteur du bâtiment ou ailleurs. Le ministère du Travail a détaché deux brigades spécialisées, l’une pour suivre la santé, la sécurité et la conduite des chantiers, l’autre pour veiller au respect du droit en matière d’embauche de personnels. Des travailleurs sans papiers ont notamment pu être identifiés et régularisés : plus de 150 personnes en situation irrégulière ont obtenu leur régularisation auprès de la préfecture de Seine-Saint-Denis. Mais pour constituer ces brigades, les pouvoirs publics ont néanmoins allégé la présence des inspecteurs du travail sur leur territoire d’origine. Cette diminution de fait des contrôles dans d’autres secteurs n’est pas satisfaisante.

Quels sont les résultats de ces actions en termes d’accidents du travail ?
B. T. : Sur un peu plus de 30 000 salariés employés sur les chantiers olympiques, il y a eu 180 accidents de travail dont 29 graves, ce qui est toujours trop. Mais au regard du nombre d’heures travaillées, cela représente quatre fois moins d’accidents que la sinistralité habituellement constatée sur les chantiers en France. Les résultats de cette expérience devraient permettre de repenser les conditions de travail dans le BTP, un secteur qui totalise à lui seul la moitié des morts au travail. Et ils plaident en faveur d’une augmentation des effectifs de l’Inspection du travail.

N’y a-t-il pas quelques limites à ce bilan, avec des accidents mortels non comptabilisés comme celui d’Amara Dioumassy, le 16 juin 2023, sur le chantier du bassin d’Austerlitz ?
B. T. : Ce décès a eu lieu dans un chantier ouvert sous la responsabilité de la mairie de Paris, et non de la Solideo. S’il est en lien avec les JO, ce bassin de rétention a pour objectif de permettre la baignade dans la Seine. Il ne s’agit pas d’une infrastructure indispensable à l’organisation des Jeux, elle n’entre donc pas juridiquement dans le cadre du plan de surveillance des chantiers des JO.
Après la phase de construction au cours d’achèvement, se mettent en place des chantiers éphémères comme le mini-stade temporaire de la place de la Concorde ou le stade équestre du château de Versailles. Avec l’emploi de personnels moins stables pour des opérations à effectuer rapidement, les risques accidentogènes y sont d’autant plus importants. Ces travaux ne sont pas non plus gérés par la Solideo. Il revient au Comité de suivi de la charte sociale de continuer à jouer son rôle de veille et, si nécessaire, d’alerte.

Quels enseignements tirez-vous du suivi des chantiers des JO ?
B.T. : Les résultats pour la sécurité des travailleurs sont clairement positifs dès lors qu’il existe une véritable volonté politique de s’attaquer au problème de la sécurité et de la santé au travail. Cela suppose des moyens publics, une augmentation du taux de présence de l’Inspection du travail, ainsi que l’association des représentants du personnel à l’organisation et au contrôle des chantiers. Ces énergies conjuguées peuvent changer la donne.

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