© Cécile Serres
© Cécile Serres

« Un jour, le plaisir au travail s’est dérobé »

entretien avec Elsa Fayner, journaliste et coréalisatrice avec Sara Monimart du podcast «Travail au corps», produit par Santé & Travail.
par Nathalie Quéruel / 12 mai 2022

Avec « Travail au corps », podcast qu’elle a coréalisé, Elsa Fayner a souhaité rendre compte de l’évolution au cours du temps du lien entre santé et travail, à travers cinq histoires singulières. Un feuilleton en quatre épisodes, mis en ligne à partir du 18 mai sur le site de Santé & Travail.

Dans la série de podcasts « Travail au corps », vous donnez la parole à cinq personnes qui racontent comment leur activité professionnelle et leur santé se sont influencés tout au long de leur carrière. Pourquoi avoir choisi cet angle ?
Elsa Fayner :
Même s’il y a assez peu de podcasts consacrés aux conditions de travail, nous ne voulions pas tendre le micro à des experts, qui s’expriment déjà dans les articles publiés dans le magazine et sur le site. Il y avait l’idée de construire un récit autour de la santé au travail, sous la forme d’un feuilleton, avec une progression dans chaque épisode. Nous avons cherché des hommes et des femmes, en fin de carrière, qui pourraient raconter comment leur activité professionnelle les a nourris ou abîmés, les a soutenus ou enfoncés et ce, à différentes périodes de leur vie. Nous avons retenu cinq personnes : une infirmière, une agricultrice, une photographe, un dirigeant d’une grande entreprise et un garde-forestier. Elles ont été choisies pour leur capacité à prendre du recul et à tenir un discours à la fois profond et synthétique sur leur parcours… ce qui n’est pas facile ! Et aussi parce qu’elles ont suscité notre empathie et que les auditeurs auront, je l'espère, autant que nous l’envie de les rencontrer.

Qu’est-ce qui ressort de plus frappant dans leur récit ?
E. F. : Les quatre épisodes du podcast sont construits autour de moments charnières de la vie professionnelle des témoins : les débuts dans le métier où on se lance à corps perdu, le tournant de la quarantaine, la seconde partie de carrière où l’on revoit ses priorités, et les dernières années pendant lesquelles il s’agit de se préserver sans renoncer aux plaisirs de l’activité. Ce qui nous a marqué, c’est la crise du milieu de carrière, commune à tous nos témoins, alors qu’ils évoluent dans des environnements professionnels et géographiques très différents. Et la façon dont ce retournement a eu des impacts sur le corps. Ainsi, après avoir pris du plaisir au travail, celui-ci s’est un jour dérobé, à leur grande surprise. Il est aussi très intéressant de voir la façon dont chacun a trouvé des ressources pour remonter la pente.

Alors qu’un nouvel allongement la durée de la vie active est annoncé, avec un possible recul de l’âge légal de départ en retraite, qu’apportent ces témoignages à la réflexion ?
E. F. : Ce sont des trajectoires particulières, de personnes qui ont été profondément définies par leur travail. Qui ne souhaitent pas s’arrêter du jour au lendemain et cherchent à lever le pied doucement. Qui sont soucieuses de la transmission de leurs savoirs et savoir-faire. Ces histoires nous disent que la préservation de la santé, c’est tout au long de la carrière qu’elle se construit, avec un enjeu fort à mi-chemin. Dans les crises qu’ils ont traversées, les cinq témoins ont été seuls. Ils n’ont pas été aidés par leur entreprise, les institutions, ni les collègues et ils ont bricolé des solutions pour s’en sortir. Ce qui est frappant, c’est l’absence du collectif de travail dans leur récit ; ils n’ont pas eu de soutien de ce côté-là. C’est aussi ce que dessine en filigrane le podcast : les évolutions technologiques et organisationnelles du monde du travail, avec l’individualisation, la segmentation des tâches, le reporting, la pression gestionnaire, etc.

Une série de podcasts disponible sur nos chaînes vidéos
  • Mis en ligne sur notre site à partir du 18 mai, les épisodes du podcast « Travail au corps » seront également disponibles sur nos chaînes vidéos Youtube, Dailymotion et sur notre compte Soundcloud.