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Vers une jurisprudence plus favorable à la santé au travail

par Aurore Moraine / 18 janvier 2019

Sur ces deux sujets majeurs que sont le préjudice d’anxiété des salariés exposés à des cancérogènes et l’obligation de sécurité pesant sur l’entreprise, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation devrait évoluer favorablement.

Les changements intervenus récemment à la tête de la chambre sociale de la Cour de cassation sont-ils annonciateurs d’évolutions favorables à la santé au travail ? Il est permis de le penser au vu des prises de parole récentes du nouveau tandem qui dessinera la future jurisprudence, Bruno Cathala, président de la chambre sociale à la place de Jean-Yves Frouin, et Jean-Guy Huglo, son doyen. Ensemble, ils se sont attaqués à leur premier chantier, celui des risques professionnels. Au menu des réjouissances, l’obligation de sécurité et le préjudice d’anxiété, deux jurisprudences très critiquées qui devraient rapidement connaître une inflexion notable.

Harmonisation entre les chambres

La jurisprudence sur le préjudice d’anxiété est de celles qui font l’unanimité contre elles. Reconnu en 2011 pour les travailleurs de l’amiante, ce préjudice a été stoppé dans sa lancée par peur d’ouvrir la boîte de Pandore et de le reconnaître par trop systématiquement à tous ceux ayant été en contact avec des cancérogènes. A partir de 2015, il a donc été réservé exclusivement aux bénéficiaires de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (Acaata). Dans toutes les autres configurations, la voie du préjudice d’anxiété est restée résolument fermée. Consciente de l’impasse dans laquelle elle s’était malencontreusement engagée, la chambre sociale devrait revoir sa copie grâce à la saisine de l’assemblée plénière de la Cour de cassation. En effet, les autres chambres de la Cour de cassation (la première et la deuxième chambres civiles) développent sur le même sujet une jurisprudence beaucoup moins restrictive. L’assemblée plénière, qui harmonise les jurisprudences entre les chambres, devrait rapidement remédier à cette situation.
L’obligation de sécurité va, elle aussi, évoluer. Entre 2002 et 2015, elle revêtait les atours d’une obligation de sécurité de résultat, déclenchant ainsi la responsabilité de l’employeur dès qu’une atteinte à la santé ou à la sécurité des travailleurs était constatée. Ce qui faisait dire à certains que l’employeur était toujours coupable, même s’il avait tenté de résoudre le problème, s’agissant par exemple du harcèlement moral. Cette politique expansionniste a été stoppée en 2015 et l’obligation de sécurité a été recentrée sur une obligation de prévention. Concrètement, l’employeur est désormais responsable s’il n’a pas mis en place une politique de prévention effective.

« Adapter le travail à l’homme »

Estimée restrictive, cette jurisprudence va être astucieusement amendée. Au lieu de la remettre en cause frontalement, le duo à la tête de la chambre propose de mettre en exergue un des principes généraux de prévention issus de l’article L. 4121-2 du Code du travail, plus précisément le quatrième, communément résumé par « l’adaptation du travail à l’homme ». L’idée est directement inspirée des travaux d’Hervé Lanouzière, ancien directeur général de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact)1 .
Pour bien comprendre l’enjeu d’un tel changement, il faut citer le principe en son entier : « Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé. » Ce principe fondamental de l’ergonomie va enfin trouver sa traduction dans l’appréciation des juges sur les questions de santé et de sécurité. L’approche n’est plus seulement individuelle mais résolument collective. La dimension organisationnelle doit être prise en compte dans la prévention des risques professionnels. Dès la phase de la conception des machines ou encore de l’organisation du travail, le juge vérifiera que ce principe a bien été mis en œuvre. On voit les potentialités que recèle l’adaptation du travail à l’homme, particulièrement en matière de risques psychosociaux, car les entreprises ont souvent tendance à vouloir « adapter l’homme au travail », en apprenant par exemple aux salariés à mieux gérer leur stress plutôt qu’en remettant en cause une organisation du travail ou des méthodes de management toxiques.

  • 1Prévenir la santé et la sécurité au travail, 2 vol., Lamy, 2012.