Temps de travail : la justice recadre le forfait-jour

par Isabelle Mahiou / octobre 2011

Un récent arrêt de la Cour de cassation précise les conditions d'application du forfait-jour. S'il ne remet pas en cause ce système de décompte du temps de travail, il l'encadre en invoquant la protection de la santé du salarié.

Le 29 juin, la Cour de cassation a donné raison à un cadre qui, soumis au régime du forfait-jour, n'en réclamait pas moins à son employeur le paiement d'heures supplémentaires. Elle a en effet considéré que l'employeur avait été défaillant dans l'exécution de la convention de forfait-jour, en particulier dans le contrôle du nombre de jours travaillés et le suivi de la charge de travail, tels que prévus par l'accord collectif de la branche (la métallurgie). Par conséquent, elle a jugé que cette convention était privée d'effet et que des heures supplémentaires étaient dues. Cassant ainsi l'arrêt de la cour d'appel de Caen qui avait débouté le salarié, la Cour a renvoyé au juge l'appréciation des heures dues.

A l'origine destiné à des cadres autonomes

Rappelons que le forfait-jour a été instauré en 2000 par la loi Aubry II dans le cadre de la réduction du temps de travail. Il substitue un décompte annuel du temps de travail en jours au décompte hebdomadaire ; la référence aux 35 heures au-delà desquelles démarrent les heures supplémentaires est abandonnée, ainsi que les plafonds de 10 heures par jour et 48 heures par semaine. Le système réclame l'approbation du salarié et s'appuie sur un accord d'entreprise ou de branche. Destiné à l'origine à des cadres autonomes dans leur organisation, il a été étendu à des non-cadres travaillant également en autonomie. Le plafond du nombre de jours travaillés, d'abord fixé à 217, a été relevé à 218 en 2004 (journée de solidarité), puis à 235 en 2008.

Le problème est que, sans limite prévue pour la durée hebdomadaire du travail, les amplitudes peuvent s'envoler. En théorie, un salarié au forfait-jour peut travailler jusqu'à 13 heures par jour, donc 78 heures par semaine... Sollicité par des syndicats français, le Comité européen des droits sociaux (CEDS) a critiqué à plusieurs reprises le forfait-jour et, dans sa décision du 23 juin 2010, a conclu à une violation de la charte européenne des droits sociaux. Il pointe l'absence de plafonnement des heures effectuées par semaine et l'insuffisance des garanties offertes par la négociation collective.

La Cour de cassation ne va pas aussi loin, mais estime que le forfait-jour ne permet pas de s'affranchir de durées minimales de repos et d'une durée mensuelle de travail raisonnable. Se référant aux droits et aux principes inscrits dans la Constitution française et dans la législation européenne, elle conclut qu'il ne peut y avoir dérogation aux durées maximales de travail " que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ". Elle fait du même coup des accords collectifs un élément central de l'encadrement du forfait-jour et de l'appréciation de sa validité.

Prévoir un mécanisme de contrôle

Aux partenaires sociaux, donc, de prévoir un mécanisme de contrôle de la durée du travail pour assurer le " respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ". Bref, pas d'amplitude supérieure à 13 heures, au moins 35 heures de repos hebdomadaire ; mais pas de référence à un maximum hebdomadaire, de 48 heures par exemple. Ce qui importe, c'est que l'entreprise ait des moyens de suivi de l'activité de son salarié et soit en mesure de s'assurer que la durée hebdomadaire du travail est " raisonnable ".

Si elles veulent éviter les contentieux et le paiement d'heures supplémentaires, les entreprises ont donc tout intérêt à revoir de près leur dispositif conventionnel, notamment les modalités de suivi des durées et de la charge de travail, qu'elles devront s'attacher à respecter. Une préoccupation qui fait écho au contexte de plusieurs affaires de suicide ayant mis en évidence les charges de travail pesant sur les salariés et stigmatisé l'incapacité de leurs supérieurs hiérarchiques à les évaluer.