La HAS planche sur le burn-out

par Rozenn Le Saint François Desriaux / 31 janvier 2017

La Haute Autorité de santé (HAS) prépare des recommandations à l’attention des médecins pour la prise en charge thérapeutique et l’accompagnement des personnes atteintes de burn-out. En excluant la prévention et en intégrant la fragilité psychologique individuelle, la démarche inquiète des médecins du travail.

Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, a le vent en poupe. Sa reconnaissance comme maladie professionnelle est l’un des chevaux de bataille de Benoît Hamon, vainqueur dimanche soir de la primaire socialiste. Et, depuis juin 2016, une mission d’information emmenée par le député frondeur Gérard Sebaoun, lui-même ancien médecin du travail, planche sur ce thème à l’Assemblée nationale. Son rapport devrait sortir d’ici la fin du premier trimestre.

Selon nos informations, la Haute Autorité de la santé (HAS) a également été saisie de cette question par un courrier de Marisol Touraine daté du 27 avril 2016. Dans les documents de travail de la HAS auxquels Santé & Travail a eu accès, il est indiqué que la ministre de la Santé a souhaité « l’élaboration de recommandations de bonne pratique à destination des médecins du travail et des médecins généralistes sur le repérage, la prévention et la prise en charge du syndrome d’épuisement professionnel (SEP) ou burn-out, ainsi que sur l’accompagnement des personnes lors de leur retour au travail ». Cette demande s’inscrit dans le troisième plan santé au travail (PST3), lequel prévoit de s’attaquer à la prévention des risques psychosociaux (RPS), notamment à celle du burn-out.

Exit la prévention

Sauf que, d’après les documents que nous nous sommes procurés, la version du projet de « fiche mémo »[[Les fiches mémo de la HAS sont des documents élaborés pour aider les professionnels de santé dans leur pratique.]] soumise à des experts de différentes disciplines, à des associations de patients et à des organismes de recherche a d’emblée écarté la prévention. « Ces recommandations se limitent au volet clinique du thème : l’action sur le milieu et l’organisation du travail est exclue du champ de ces recommandations », peut-on lire dans le préambule. Celle-ci est « néanmoins indispensable dans une démarche de prévention primaire, secondaire ou tertiaire du burn-out », affirme l’un des documents de la HAS. Mais elle est renvoyée à un groupe de travail associant l’ensemble des responsables des ministères du Travail et de la Santé et des partenaires qui aborderont cette question dans le cadre du PST3.

Un choix qui étonne et inquiète plusieurs spécialistes de santé au travail que nous avons consultés. Ainsi, pour l’un d’entre eux, « ce “saucissonnage” n’est pas pertinent, surtout que les recommandations de la HAS s’adressent certes aux généralistes, mais aussi aux médecins du travail, lesquels sont chargés d’une mission exclusivement préventive ».

Pour Philippe Davezies, chercheur en médecine et santé au travail, « la confusion de départ [avant la saisine de la HAS, NDLR], c’est d’avoir fait du burn-out une maladie. Cela fausse tout le raisonnement. Le syndrome d’épuisement professionnel est une manifestation de la souffrance au travail, une spirale dangereuse qui peut déboucher sur des pathologies psychiques classiques, comme la dépression, ou sur des pathologies somatiques chroniques, comme les pathologies cardiaques. Pour éviter de basculer dans la maladie, la voie la plus sûre est d’aider les salariés à penser et à exprimer les conflits de logique non discutés auxquels ils se trouvent confrontés en situation de travail et qu’ils affrontent dans l’isolement ».

Fragilité personnelle

Une autre approche de la HAS sème le trouble chez les professionnels de la santé au travail : celle des caractéristiques personnelles des sujets (traits de personnalité, antécédents dépressifs…) comme facteurs de risque du burn-out. Certes, le projet de fiche mémo discuté prend bien soin de préciser que « ces facteurs individuels ne peuvent servir qu’à préconiser une prévention renforcée, et ne sauraient bien sûr en aucun cas constituer un élément de sélection des travailleurs », mais la mention de tels facteurs choque plusieurs de nos interlocuteurs des services de santé au travail. « Evoquer les fragilités personnelles comme un terreau propice au développement du burn-out n’incite pas à la réflexion sur les mesures collectives destinées à prévenir ce risque lié à l’organisation du travail », regrette l’un d’entre eux. D’autant que le rapport d’élaboration de la HAS, qui a servi de base à l’établissement de la fiche mémo, rappelle qu’en l’état actuel des données scientifiques il est impossible d’établir un lien de causalité entre ces caractéristiques personnelles et le syndrome d’épuisement professionnel.

Rôle clé du médecin du travail

Au-delà de ces aspérités, on retiendra du projet de fiche mémo que la HAS invite d’abord les médecins du travail à s’interroger sur les conditions de travail et les six catégories de facteurs de RPS tirés du rapport de Michel Gollac : l’intensité et l’organisation du travail inadaptées, les exigences émotionnelles importantes, l’autonomie inadaptée, les relations de travail dégradées, les conflits de valeurs et l’insécurité de l’emploi.

Dans la partie consacrée à la prise en charge des victimes d’épuisement professionnel, sujettes « au risque suicidaire, aux troubles de l’adaptation, anxiodépressifs, syndromes post-traumatiques chroniques », la HAS préconise que « le médecin traitant se [mette] en contact avec le médecin du travail (sous réserve de l’accord du malade) pour alerter et avoir un éclairage sur le lieu de travail ». Elle souligne également le rôle clé du médecin du travail et de l’équipe pluridisciplinaire dans la préparation au retour à l’emploi du salarié traumatisé par ses conditions d’exercice professionnel.

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