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L'avenir compromis des chômeurs malades ou inaptes

par Isabelle Mahiou / avril 2018

Alors que le gouvernement vient de renforcer son arsenal de sanctions et de mesures de contrôle à l’égard des chômeurs, notre enquête montre qu’il faudrait surtout améliorer l’aide apportée aux demandeurs d’emploi qui ont des problèmes de santé ou d’inaptitude.

Entre un et deux millions de salariés seraient menacés de désinsertion professionnelle. En cause : la dégradation de leurs capacités due à la maladie ou au handicap. C'est ce que révèle un récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas, voir "A lire"). Cette population, "mal cernée, mais appelée à croître" compte tenu du vieillissement de la population active, risque de venir grossir, un temps du moins, les rangs des chômeurs. Or les profils de ces salariés sont "en inadéquation avec les exigences des entreprises et les conditions de travail associées aux offres d'emploi disponibles, qui se trouvent plutôt dans la restauration, la logistique, le bâtiment, la santé et l'aide à la personne", rappelle Bertrand Laine, conseiller à Pôle emploi Handipass, à Paris, seule agence spécialisée de l'opérateur public.

Pour toute cette frange de demandeurs d'emploi, la politique de durcissement du contrôle annoncée par le gouvernement (voir "Repères"), au nom de la chasse aux "profiteurs", paraît particulièrement inappropriée. Quel traitement Pôle emploi réserve-t-il à ses inscrits qui, malades, handicapés ou inaptes, peinent à trouver des offres adaptées à leur situation ? "Ils ne sont ni plus ni moins contrôlés que les autres, il y a égalité de traitement, déclare Jean-Manuel Gomes, délégué syndical central de la CFDT Pôle emploi. Derrière le contrôle, il y a un conseiller qui analyse le dossier et tient compte des contraintes spécifiques."

 

Repère

Le nombre de contrôleurs de Pôle emploi devrait passer de 200 à 600 d'ici la fin de l'année, puis à 1 000 d'ici 2020, a annoncé le 19 mars la ministre du Travail aux partenaires sociaux. Le gouvernement propose de rallonger les durées de radiation pour insuffisance de recherche d'emploi et de raccourcir celles pour un rendez-vous manqué avec son conseiller. L'administration des sanctions serait en outre confiée à Pôle emploi, et non plus au préfet. Ces mesures seront discutées avec les partenaires sociaux, puis intégrées à un projet de loi sur l'assurance chômage. La ministre a aussi annoncé une redéfinition de l'offre raisonnable d'emploi, qui tiendra compte de la situation individuelle du demandeur d'emploi et des contraintes locales du marché du travail

 

Des handicaps plus ou moins visibles

Dès lors que la mention d'une limitation liée à l'état de santé figure dans son dossier - pas de port de charges lourdes, nécessité d'un temps partiel... -, il y a peu de risques que le demandeur d'emploi soit taxé de manquer à ses devoirs. Toutefois, certaines souffrances sont moins évidentes que d'autres : "Celui qui a une difficulté à passer plus d'une demi-heure dans sa voiture peut se retrouver en porte-à-faux avec une prescription légale d'acceptation d'une offre raisonnable jusqu'à une heure de son domicile", indique Hadrien Clouet, doctorant en sociologie qui, au sein de Sciences Po, travaille sur l'orientation des demandeurs d'emploi vers le temps partiel"Quand il existe certains freins, les conseillers font plutôt preuve de bienveillance", nuance Jean-Marie Pillon, sociologue et chercheur à l'université Paris-Dauphine. Encore faut-il que les difficultés soient connues.

Le rendez-vous de diagnostic qui suit l'inscription à Pôle emploi est à cet égard un moment clé car il permet de définir le profil du demandeur et les critères de la recherche. "La seule chose qu'on sait, c'est si une personne a été licenciée pour inaptitude, relate Amélie1 , conseillère Pôle emploi dans les Bouches-du-Rhône. Pour le reste, on ne sait que ce qu'elle veut bien nous dire." En outre, témoigne Caroline1, conseillère dans l'Oise, "il y a nombre de maux, tels que des douleurs, des troubles cardiaques, de la vue, de la motricité, qui ne sont pas immédiatement détectables". Le demandeur qui ne fournit pas une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) ou un certificat médical devra "être capable de mettre en mots ce qu'il éprouve et de présenter un récit vraisemblable et cohérent, ce qui n'est pas toujours facile, notamment pour ceux issus de l'immigration précise Hadrien Clouet. A moins qu'il ne cherche à taire ses maux par peur d'être discriminé ou pour accéder à l'emploi coûte que coûte, quitte à se maintenir dans un métier peu adapté à son état de santé.

De ce premier rendez-vous résulte une trace administrative. "En dépit de l'automatisation des outils et procédures, nous avons une marge de manoeuvre pour intégrer dans le dossier du demandeur d'emploi des restrictions qui le protègent, poursuit Caroline. On peut aussi lui conseiller de consulter un médecin pour obtenir un certificat, l'informer sur la RQTH, le convier à une réunion avec Cap emploi." Une façon de formaliser une situation qui simplifie les choses, mais aussi un moyen de transférer le problème ailleurs, quand le suivi peut être délégué à un "partenaire". Comme à Cap emploi pour les travailleurs handicapés, où l'accompagnement est plus spécialisé et donne accès à des dispositifs spécifiques. Mais cette orientation repose sur une sélection. "Cap emploi a une contrainte de résultat à l'égard de l'Agefiph [Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées]. Cela le conduit à privilégier les plus employables", observe Bertrand Laine.

 

Cumul de freins sociaux

Près des trois quarts des chômeurs présentant un handicap restent donc dans le giron de Pôle emploi. Malgré la présence de référents handicap, les conseillers sont démunis vis-à-vis de ce public, et plus largement de ceux qui présentent des fragilités. "On est mal à l'aise face à ces personnes, qui en outre cumulent souvent un métier pénible, un faible niveau de qualification, un âge avancé et d'autres freins sociaux, linguistiques par exemple, souligne Amélie. La recherche de solutions est encore plus complexe que pour les autres." Les agents ne réagissent pas tous de la même façon. "Ils sont confrontés à un dilemme que chacun d'entre eux résout avec sa sensibilité et son éthique", décrypte la sociologue Lynda Lavitry, chercheuse au Laboratoire d'économie et de sociologie du travail.

 

Pas d'accompagnement particulier

De même que pour le contrôle, les chômeurs fragilisés pour des raisons de santé ou de handicap ne relèvent pas d'un traitement particulier en matière d'accompagnement. Ils sont classés en fonction de leur autonomie dans la recherche d'emploi, en particulier la maîtrise des outils numériques. A l'agence Handipass, ils bénéficient d'un suivi "renforcé", chaque conseiller n'ayant que 70 demandeurs d'emploi en portefeuille, ce qui permet des contacts plus fréquents et au rythme des besoins. Ce n'est pas le cas dans les autres agences. Pour Bertrand Laine, "dans les agences classiques, quand ces personnes sont en "suivi simple", c'est souvent à tort : leur situation étant trop compliquée, les conseillers les placent dans cette modalité parce qu'ils ne savent pas quoi faire". C'est aussi parfois faute de place dans les autres catégories de suivi.

Ce mécanisme contribue à les "invisibiliser". "Avec 500 personnes à suivre, on fait davantage de la supervision, déplore Caroline. En dehors du rendez-vous institué à six mois, on n'a de contact avec le demandeur d'emploi que s'il en prend l'initiative. On passe à côté de beaucoup qui auraient besoin d'un accompagnement." Une situation d'autant moins satisfaisante pour les conseillers que les solutions ne sont pas légion. La difficulté est particulièrement aiguë dans les cas de troubles psychiques. "Des gens qualifiés, expérimentés, qui se retrouvent dans l'incapacité de travailler comme avant à la suite d'un burn-out, finissent souvent par lâcher : ils se désinscrivent en ne s'actualisant pas", constate Bertrand Laine.

 

Des reconversions peu adaptées

Dans les autres cas, le retour à l'emploi impose souvent une reconversion professionnelle. Les plus qualifiés peuvent s'appuyer sur des compétences transférables. Mais pour la majorité, faiblement qualifiée, il faut monter en compétences. "Il n'y a pas de piste évidente, explique Caroline. Avec une aide-soignante ou un maçon licenciés pour inaptitude, il y a un gros travail de réorientation et de construction d'un projet professionnel." En vue d'un métier moins physique, souvent administratif. "Il faut encore que la marche ne soit pas trop haute en termes de qualifications à acquérir et que les formations soient adaptées au marché du travail note Bertrand Laine.

Pour les personnes handicapées, ces formations reposent largement sur les centres de rééducation professionnelle (CRP), qui couvrent des actions allant de la préorientation à la qualification, jusqu'au niveau bac + 2. Mais pour les autres, les perspectives se resserrent. "On a perdu beaucoup d'outils, regrette Amélie. A commencer par le bilan de compétences, qui n'est plus financé que dans le cadre du compte personnel de formation, beaucoup plus complexe ! Dans mon agence, en dehors de quelques formations d'animateur sportif, d'infirmière ou d'auxiliaire de puériculture, difficile de trouver une formation longue qualifiante et financée."

Dans une approche par les compétences, Pôle emploi propose en revanche des modules courts d'adaptation, orientant vers les métiers de la logistique, de l'aide à la personne, de la restauration... Selon Bénédicte Faure, déléguée syndicale CGT à Pôle emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca), "le but est de rendre les gens employables plus rapidement. On les encourage de fait à aller vers des emplois précaires dans des secteurs en tension". Pas de quoi faciliter le reclassement des personnes fragilisées.

 

"Sécurisation professionnelle"

L'enjeu n'est pas mince, comme le montre le rapport de l'Igas sur le risque de désinsertion professionnelle. En effet, dans une vingtaine de métiers où dominent des emplois ouvriers et du secteur sanitaire et social, les salariés congédiés pour inaptitude représentent plus du quart des inscrits à Pôle emploi suite à un licenciement. Pour eux, l'Igas préconise la création d'un contrat du type "sécurisation professionnelle", avec des mesures précoces d'évaluation, d'orientation et de formation. Et ce, de façon à éviter une rupture d'accompagnement, Pôle emploi devant développer des méthodes répondant à leurs besoins spécifiques.

Autre piste mise en avant par l'Igas, dans un rapport publié début février sur le réseau Cap emploi (voir "A lire") : réorienter ce type de structure vers les situations les plus difficiles et, dans le même temps, envisager une montée en compétences de Pôle emploi dans la prise en charge des personnes fragilisées. Avec, à l'appui, une plus grande mobilisation de la formation professionnelle. Une piste qui fait écho aux revendications des conseillers. "Mettre en place un accompagnement renforcé des travailleurs handicapés à Pôle emploi, propose ainsi Caroline. Ce qui suppose du temps et une offre de formation adaptée." Ou "repenser l'offre des CRP en favorisant des formations qualifiantes plus longues et plus en adéquation avec le marché", suggère Bertrand Laine Jean-Manuel Gomes abonde dans son sens : "La formation doit être qualifiante et permettre le retour à l'emploi, sous forme salariée ou non."

L'accompagnement et la formation des chômeurs fragiles en vue de leur insertion durable exigent du temps. "Avec sa politique de rotation accélérée des offres, Pôle emploi n'est pas du tout dans cette logique, ce qui a des conséquences fortes à la fois sur les recherches des demandeurs et sur les conditions de travail des conseillers, analyse Lynda Lavitry. Les améliorations passent par la remise en cause du dogme de la mobilité géographique et du fléchage des formations vers les secteurs en tension. Il serait bon aussi de questionner l'attractivité de ces secteurs, ainsi que la pénurie d'offres." Plutôt que de mettre l'accent sur la responsabilité du chômeur, en bout de chaîne.

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    Les prénoms ont été changés.

À lire
  • Flexibilité des chômeurs, mode d'emploi. Les conseillers à l'emploi à l'épreuve de l'activation, par Lynda Lavitry, PUF, 2015.

  • La prévention de la désinsertion professionnelle des salariés malades ou handicapés, par Pierre Aballéa et Marie-Ange du Mesnil du Buisson, rapport de l'Igas, décembre 2017.

  • Evaluation des Cap emploi et de l'accompagnement vers l'emploi des travailleurs handicapés chômeurs de longue durée, par Isabelle Rougier et Bénédicte Legrand-Jung, rapport de l'Igas, mai 2017, rendu public le 5 février 2018.